La guerre, et après ? L'Amérique, l'islam, le diable et le bon Dieu
Revenant sur son essai révélateur de 1987 : La guerre est morte, Claude Le Borgne nous expose l’application de la théorie pacificatrice, à la pratique de quatre guerres contemporaines : le Golfe (1991), le Kosovo (1999), l’Afghanistan (2001) et l’Irak (2003). Bénéficiant de sa compétence reconnue dans les domaines de la stratégie et de l’islam, son analyse géopolitique est à la fois brillante et stimulante.
Se référant à Clausewitz et Grotius, il commence par redonner à la stratégie sa définition classique : l’usage de la violence armée visant un but politique ; et à la guerre : l’affrontement entre États par armées interposées. L’arme nucléaire a tué la guerre conventionnelle, et même la guerre limitée, tandis que la mort des idéologies condamne la guerre révolutionnaire. Restent les violences armées qui subsistent dans les zones grises du Sud, survivance qui impose aux États policés du Nord, qui ne croient plus à la guerre, de prendre les armes pour empêcher ceux qui y croient de se battre entre eux. Cette stratégie de compassion (sic), qui vise à tuer le tyran aboutit parfois à faire souffrir le peuple. Les interventions coercitives de l’ONU contribuent au même objectif de maîtrise de la violence.
Cette pacification du monde se heurte actuellement à deux objections. La première opposition est celle de l’islam, dont les vertus théologales sont polluées par le démon totalitaire, l’exaltation du martyre, et le terrorisme anti-occidental soutenu par la versatilité des foules arabes. Faisant face à cette menace, l’Amérique s’emploie à éradiquer la guerre en frappant au plus court, et proclame sa volonté de façonner le monde à son image.
Les quatre conflits, patiemment et minutieusement analysés, sont donc des guerres américaines. L’auteur étudie finement les caractéristiques militaires et sociopolitiques : le coût-efficacité, et les effets pervers des armes intelligentes, les pertes relativement limitées, la volatilisation de l’ennemi, la quête des alliances dont certaines se révèlent encombrantes, l’horreur et la fascination exercées sur les opinions mondiales, les journalistes mis sous tutelle.
Les buts de guerre se différencient selon les théâtres : rétablir la légalité internationale, protéger des populations opprimées, éliminer les tyrans et les terroristes, ces buts sont partiellement atteints dans les trois premiers conflits étudiés. Ces conclusions permettent à notre ami d’affubler ces conflits de qualificatifs insolites : guerre virtuelle, vertueuse et même miséricordieuse, guerre humiliée, guerre pédagogique, et de développer une longue réflexion sur la guerre asymétrique, où la détermination du faible est insupportable face à la surpuissance du fort. La dissymétrie des moyens n’est pas toujours confortable.
La guerre d’Irak en revanche est qualifiée de guerre autiste en raison de la prédominance et de l’isolement américains. L’objectif final de démocratisation et de pacification du Moyen-Orient se révèle d’une ambition démesurée ; les Américains se heurtent à des désordres qu’ils n’avaient ni prévus ni préparés ; l’insouciance et une certaine balourdise compromettent les contacts nécessaires avec la population, alors que les Britanniques se révèlent plus subtils. La situation n’est cependant pas compromise, des succès sont obtenus face à une résistance hétérogène. Et après ? Il s’agit de construire un Irak nouveau ; la solution politique consiste sans doute à exploiter les divisions des Chiites, à accorder leur autonomie aux Kurdes, et à laisser certaines prérogatives aux Sunnites détenteurs du pouvoir à Bagdad.
Les derniers chapitres du livre contiennent de riches digressions sur le patriotisme, sur le déclin de l’autorité et du secret, sur la décrépitude morale de l’Occident, sur l’Europe addition de médiocrités, sur l’homme chosifié par les médiacrates. Une critique conjointe de La fin de l’histoire de Fukuyama et du Choc des civilisations de Huntington se conclut par un appel à l’intervention divine. Que diable, Seigneur, rien qu’un petit signe ! Il y a urgence.
Cette note de lecture d’un livre très dense ne prétend pas tout dire. Elle est une invitation à lire et à méditer de hautes réflexions militaires, politiques et philosophiques. ♦