De Saint-Cyr à l'action psychologique
Si Shakespeare s’en mêlait, il trouverait qu’il y eut quelque chose d’anormal au royaume de France pour qu’un officier de la valeur de Lacheroy, détenteur d’états de service brillants et un temps conseiller influent du pouvoir, soit amené, au cours d’une cavale romanesque, à fuir la justice de son pays à bord d’un minéralier pratiquant la contrebande avant de franchir les frontières muni de faux papiers et de finir vendeur dans l’immobilier, tandis que la vengeance de César s’abattait sur son fils. Il est vrai que, vingt ans auparavant, des héros indiscutés et désormais honorés avaient dû aussi raser les murs et se rendre à des rendez-vous clandestins.
Le lecteur attendant un témoignage épique sera surpris et sans doute un peu frustré de ne trouver ici aucun récit du putsch sur lequel, selon l’auteur, « on a tellement écrit et de façon si partisane que je ne crois pas nécessaire d’ajouter mon point de vue qui, lui aussi, ne pourrait être que partisan ». L’ouvrage décrit donc un « avant » et un « après ».
L’avant, c’est la carrière militaire, racontée dans un style familier et agréable et sans modestie excessive, d’un saint-cyrien orphelin de père et pupille de la nation, ayant subi une forte empreinte familiale axée sur la tradition, la religion et le patriotisme, qui choisit la coloniale et y vit intensément des expériences africaines et asiatiques qui le poussent à réfléchir, notamment sur le phénomène, ancien mais renouvelé par les cerveaux marxistes, de la guerre subversive. Familiarisé dès le départ avec l’esprit et les méthodes de Lawrence, ayant l’occasion de côtoyer de bonne heure des hommes politiques éminents et des chefs militaires de haut rang, il glisse vers le prosélytisme et se considère en « croisade » tout comme un président des États-Unis.
Plein d’amertume au retour d’Indochine, « pleurant de rage » après l’échec de l’opération de Suez, il atteint une notoriété génératrice de quelques illusions, dont les aspects périlleux sont parfaitement décrits dans un avant-propos éclairant de Paul Villatoux. Méprisant « l’inertie intellectuelle des rouages élevés de notre armée », critiquant (sans doute à juste titre) l’inefficacité du SGPDN, il devient le gourou de l’action psychologique rue Saint-Dominique comme à la Sorbonne et dans les colonnes du Monde. Observateur et non acteur des débuts de la Ve République, il en vient vite à « avoir peur de comprendre ». Témoin des manœuvres visant à « empêcher l’enthousiasme d’Alger de déferler sur Paris », indigné par le traitement infligé à Salan lors de sa relève, il participe activement à la préparation d’une entreprise dont on connaît le sort. L’après, c’est l’errance, une condamnation à mort par contumace (« pour un combat perdu pour l’Algérie française » dit une préface chaleureuse son camarade de promotion Paillole, poursuivi en son temps par d’autres justiciers), une reconversion partielle puis une vieillesse se voulant sereine.
Homme de terrain, mais aussi de plume et conscient de son talent à l’écrit et à l’oral, Lacheroy en fait profiter son lecteur en consacrant la moitié du livre aux textes de conférences qu’il prononça sur des sujets divers. On y relèvera au passage des considérations historiques et touristiques sur l’Égypte ainsi que sur le pays de Couserans (petite région pyrénéenne connue des seuls randonneurs du Mont Vallier, des admirateurs de l’église d’Audressein et des spectateurs du Tour de France !) et des exposés qui nous ont paru traités de façon un peu emphatique sur le dégagement de Strasbourg en janvier 1945 et le panégyrique du général Faure. L’intérêt se focalisera sur les morceaux de bravoure que sont les documents traitant de la guérilla et de la contre-guérilla, dont il faut noter la clarté et la force de conviction, et un exposé magistral et émouvant à la gloire de ce que fut l’Empire, alors que nous tenions « 1/12e de la terre avec 40 000 hommes ». ♦