Indochine les dernières moussons, un regard sur les rapports France/Viêt-nam
Dans l’opinion courante, le mot « Indochine » éveille un seul écho, la guerre ! On ne peut, à l’évidence, oublier qu’elle a bien existé, blessant les corps et les esprits, suscitant à l’intérieur des deux camps des antagonismes violents. D’ailleurs les rayons des bibliothèques débordent des récits qui illustrent les combats, des analyses de nos généraux qui dissertent sur la guerre révolutionnaire et des difficultés de mener campagne. Pourtant, selon Jean Rouget, administrateur des services civils : « Ce n’est pas à Diên Biên Phû, ni à Genève, que la France a perdu l’Indochine, c’est le 9 mars 1945, lors du coup de force japonais sur l’ensemble de la colonie ».
C’est ainsi, en effet, que l’auteur entame une analyse fort pertinente du fait colonial en Indochine, considérant que le colonisateur n’a pas vu le monde tourner, et qu’ainsi, la France confrontée à une vertigineuse accélération de l’Histoire a manqué le virage de la décolonisation. Il est clair, aujourd’hui, que la France s’est laissé entraîner dans un conflit hors du temps, retombant dans ses errements du passé. À vouloir rétablir une souveraineté irrévocablement perdue depuis cette date, la politique française s’est enlisée dans une voie sans issue.
Là comme ailleurs, le mythe de l’Empire a la peau dure. En effet, au nom de la « grandeur » et de l’honneur national, que d’erreurs vont être commises ! À se pencher sur ce que furent les relations de la France et du Viêt-nam, pour employer un terme contemporain, on aperçoit pourtant clairement, à travers cet ouvrage, que le fil rouge de la politique de notre adversaire-partenaire tout au long des cent ans de notre parcours commun a été l’aspiration à la liberté et à l’indépendance. Dès lors la décolonisation s’inscrivait dans la ligne logique de l’histoire, comme la conclusion naturelle d’une colonisation, tout compte fait, réussie.
Dans ce contexte le conflit indochinois devient une affaire en soi et les impératifs militaires composent sa propre problématique, car il faut gagner par les armes si l’on ne veut pas perdre politiquement. Et pourtant, en dépit des efforts et des sacrifices des hommes en place, jamais la France, comme l’expose justement l’auteur, ne parviendra à rétablir sur l’ensemble du pays, une administration efficace et respectée ; là où elle se réinstallera, la tâche essentielle sera de veiller à la sécurité.
Jean Rouget s’est trouvé lui-même happé par la furie des événements, en même temps qu’il en a été l’un des acteurs, il fut aussi témoin direct des écarts entre le message de liberté dont la France se disait porteuse et de son application locale, mais aussi de son incapacité à entendre les élites progressistes que les écoles de la République avaient formées. ♦