Le prêtre et le commissaire politique
Les éditions Lavauzelle nous offrent là la réédition d’un document incomparable. Il s’agit du témoignage du père Sthilé, aumônier militaire fait prisonnier en 1952 en Indochine par les Vietminh. Interné au camp n° 1, il y subira pendant près de deux années les cours politiques et les autres maltraitances réservées aux « criminels de guerre » qui ne devaient leur survie qu’à la « clémence du président Ho Chi Minh » et à la « générosité du peuple vietnamien. »
Au fil des pages se déroule le quotidien de ces hommes réduits par la faim, la maladie et le désespoir à un état de déchéance physique terrifiant. La piste est parsemée des camarades morts au cours des marches forcées ou plus simplement de l’absence de traitement médical. Le lecteur suit les espoirs et leurs revers, l’organisation par les prisonniers de la vie du camp : le traitement des malades, les obsèques de ceux qui n’ont pu tenir et la résistance à l’endoctrinement.
Au cours de ces deux années, le commissaire politique du camp convoquera régulièrement le prêtre. Le face-à-face de ces hommes qui ne peuvent se comprendre est particulièrement émouvant, bien au-delà du document historique. Le commissaire, malgré les signes indéniables de bonne volonté, voire de mysticisme, demeure enfermé dans sa doctrine et ne peut recevoir les explications de l’aumônier, inflexible dans son discours comme dans sa foi. L’incompréhension est certes symbolique de celle qui séparera le monde en deux idéologies. Peut-être y a-t-il là des enseignements à tirer face à la « pensée unique » si souvent stigmatisée aujourd’hui. Ce phénomène ne masquerait-il pas une incompréhension de la pensée de l’autre ? Pire ! Un refus de prendre en considération la pensée de l’autre lorsqu’elle s’affirme comme différente de la sienne propre ? Le laïcisme auquel nous nous référons aujourd’hui ne serait-il pas également une idéologie aliénante comme le fut la pensée politique de ce commissaire ? Certes, les signes extérieurs religieux sont le véhicule d’un projet politique, qu’il est parfaitement possible de refuser. Toute religion, toute philosophie n’est-elle pas dans cette même situation ? Que reste-t-il de l’homme pris comme individu ? Sa liberté est-elle réductible à cela ? L’État peut-il s’immiscer jusque-là ?
Décidément, ce document est porteur de beaucoup d’interrogations qui touchent à l’homme, en tant qu’individu ou en tant que membre d’une société. Outre les questions d’ordre théologique, politique et philosophique, on y rencontre l’homme, l’homme nu, l’homme faible, celui qui est un loup pour l’homme et celui qui survit envers et contre tout et ne se laisse pas réduire. C’est un livre magnifique. ♦