Diên Biên Phu
Pour qui s’intéresse à l’histoire, une bataille est un révélateur qui, mieux que tout autre moment, rend visible les forces et les faiblesses, les intérêts en présence. Pierre Pellissier nous propose un ouvrage d’une grande précision sur la bataille de Diên Biên Phu, sur les conditions mêmes du combat, le quotidien des hommes du camp retranché. Il met aussi en lumière les circonstances politiques, diplomatiques et stratégiques de la bataille.
L’auteur, en effet, remonte aux débuts de la reconquête de l’Indochine au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. L’opposition entre le commandement et le pouvoir politique en Indochine explique les difficultés de la politique locale. Il aborde ensuite les conditions de la nomination du général Navarre comme commandant en chef en Indochine. Dans cette période troublée, la IVe République (« la troisième, en pire » a-t-on pu dire) n’est qu’une suite de gouvernements démis aussi vite qu’ils ont été formés. L’incertitude quant à la mission de Navarre, la succession des présidents du conseil, jusqu’à Mendès-France, qui réglera le conflit, le refus des moyens nécessaires (lorsque Navarre arrive en Indochine, la plupart des soldats sont en fin de séjour : relevés, ceux qui prendront leur place seront inexpérimentés, maintenus, ils seront à bout, de toute façon, leur nombre ne se sera pas accru et le contingent ne sera pas envoyé) ainsi que le désintérêt profond de la métropole pour cette guerre lointaine serviront de toile de fond à cet épisode tragique. Le gouvernement pratique une forme de management par l’incertitude, ne sachant pas lui-même où il va. Les généraux ont certainement manqué de clairvoyance : ils détermineront un plan, puis s’y tiendront, sans pouvoir revenir sur une décision manifestement inadaptée au contexte militaire de l’Indochine. La création d’une base aéroterrestre à Diên Biên Phu devait permettre la défense du Laos, imposée par le gouvernement à Navarre. Elle sera la ruine de l’élite de l’armée française. L’histoire est connue : les postes avancés aux prénoms féminins tombent un à un, submergés par les bo-doï, les soldats du Viet-minh, rendant inéluctable la chute du camp retranché le 7 mai 1954, les marches interminables vers les camps, la mort ou la « clémence » de l’oncle Hô.
Presque jour par jour, Pierre Pellissier retrace la vie du camp retranché, mais aussi les événements politiques, diplomatiques et militaires qui entourent la guerre d’Indochine : chutes des gouvernements ; négociations avec les États-Unis pour essayer d’obtenir de leur part un engagement plus conséquent que les aides fournies au compte-gouttes, dans une guerre contre le communisme qu’ils reprendront tout aussi malheureusement une dizaine d’années plus tard ; échanges de plus en plus vifs entre les généraux Navarre et Cogny, entre lesquels l’incompréhension est totale ; courage exemplaire des soldats ; fuites de renseignements… Cet ouvrage, très bien documenté, précis, rend compte de manière exhaustive de la bataille de Diên Biên Phu.
Un certain nombre d’enseignements semblent encore valables. D’abord, qu’un État ne peut pas conduire une guerre sans l’adhésion de sa population. Un autre porte sur la politique et les moyens accordés aux militaires. L’efficacité de ceux-ci ne dépend-elle pas de la clarté des objectifs définis au niveau politique ? Comment renforcer cette efficacité ? Le conflit Indochinois éclaire de la lumière si particulière de l’Extrême-Orient certaines difficultés encore sensibles aujourd’hui. ♦