Revue des revues
• Europaïsche Sicherheit, n° 2/2005 : « Forum 2004 de l’association Clausewitz ».
Le colonel (er) W. Baach rend compte du Forum 2004 de l’association Clausewitz (Coblance, novembre 2004), en présence d’autorités militaires et administratives, des médias… et de nombreux adhérents étrangers. Son président, le général d’armée (cr) K. Reinardt proposait trois thèmes de débat : Innere Führung et interventions extérieures ; commandement et confiance ; risques de la « transformation » de la Bundeswehr.
Innere Führung
Un sondage inquiétant parmi les stagiaires du cours d’officiers supérieurs montre que beaucoup estiment que « le concept d’Innere Führung est très beau en temps de paix mais que, très exigeant, il est inutilisable en opérations », alors que c’est précisément là que la « philosophie d’entreprise » des forces armées doit servir de guide.
À la tête des 130 collaborateurs militaires et civils du Zentrum Innere Führung (ZIF) qu’il commande, le général de brigade R. Bergmann, qui héberge ce Forum, expose les missions et les méthodes de son centre : l’aide intellectuelle et morale aux contingents partant en Opex est au cœur de son action. Il agit principalement sur ces « multiplicateurs » que sont les cadres qui vont avoir des responsabilités sur le terrain : en 2003, plus de 750 officiers et sous-officiers supérieurs ont participé à 250 réunions et séminaires. En effet, le militaire en Opex peut se trouver plongé brusquement dans trois types de situation (combattre, stabiliser, aider) qui demandent des savoir-faire et des attitudes très différentes, et il doit être capable de réagir rapidement à bon escient.
Autres missions du ZIF : participer aux débats sur le service obligatoire, coopérer avec les milieux économiques et scientifiques, « européaniser » l’Innere Führung (nombreuses autres prestations au profit de jeunes armées récemment démocratisées), contribuer à l’égalité hommes-femmes dans les armées, réaliser une documentation et des aides pédagogiques, développer la culture politique, l’histoire et la tradition. À son avis, « l’expérience a validé le concept ; il y a tout juste quelques boulons à serrer un peu différemment. Davantage d’Opex demande encore plus d’Innere Führung et non moins ». Le général de Maizière qui en fut le parrain conclut qu’elle a été adoptée sciemment voici 50 ans pour donner au soldat un maximum de liberté et ne les restreindre que lorsque c’est indispensable. Intégrée dans la législation militaire allemande, elle ne saurait être remise en cause.
Commandement et confiance
L’Institut de sociologie de la Bundeswehr signale une baisse fréquente et importante de la confiance dans leurs chefs des jeunes soldats, à mesure que leur séjour en Opex se prolonge. Beaucoup estiment avoir des supérieurs qui agissent toujours bien tactiquement mais qui ne trouvent guère le temps de s’intéresser à eux.
Psychologue dans une brigade aéroportée, J. Hille expose le rôle des 170 psychologues en service dans les armées ; ils ont surtout à lutter contre les stress qui assaillent les soldats, notamment à propos des Opex : famille au loin ; surcharge de travail, ni « week-ends », ni vie personnelle ; problèmes d’hygiène, de sexe, de qualité de vie ; crainte des accidents… Certains rentrent troublés, démotivés, parfois même post-traumatisés. D’autres, au contraire, ont envie de repartir : ils ont connu une vraie camaraderie, acquis de nouvelles compétences professionnelles, mieux pris conscience du rôle du soldat dans la communauté internationale.
Mme G. Höhler (1) revient sur son livre Pourquoi la confiance remporte la victoire ? : commander, c’est « être manageur de confiance ». Trop d’organisations reposent sur la méfiance, la froide raison, la hiérarchie ; cela rebute les gens créatifs et innovants. « Faire confiance rend l’autre fort ; la méfiance le rend impuissant ». Des contrôles trop tatillons créent une atmosphère délétère ; ils rendent les subordonnés plus astucieux, pas pour faire leur travail, mais pour s’y soustraire. Une fois la confiance troublée, il faut du courage pour la rétablir : « Dans les situations de crise que connaît l’Allemagne actuelle, pouvons-nous avoir confiance les uns dans les autres ? »…
La confiance part d’en haut : je vous fais confiance sans savoir si vous ne la tromperez pas, parce que j’ai confiance en vous. Toujours risquée, l’entreprise est payante : cela améliore le rendement des subordonnés, facilite la gestion du temps, diminue les intrigues et le stress. « Sans confiance — en soi et dans les autres — pas de succès possible ».
Transformation
J. Schnell, général de corps d’armée (cr) et actuel titulaire de la chaire « Économie de défense et de sécurité-gestion des forces armées » à l’université militaire de Munich, approuve totalement les buts et les méthodes de la Transformation : après quatre essais infructueux de réformes en dix ans, toujours faute de ressources suffisantes, enfin une solution cohérente et prometteuse ! Les premiers résultats sont remarquables. Les principales craintes de J. Schnell viennent d’un sous-financement notoire qui rend le succès final aléatoire. Même si les prévisions des Finances jusqu’en 2008 sont tenues, il manquera encore quelque 10 milliards d’euros d’investissements d’ici 2010 ! Déjà en 2003, 2 milliards d’euros ont manqué pour respecter le ratio prévu de 30 % du budget pour les investissements ; les « ressources innovantes » sont loin d’avoir atteint le niveau escompté ; le taux réel d’inflation sur les matériels militaires est double de celui des biens civils, retenu par les Finances dans leurs calculs.
Avec au mieux 1,4 % du PIB consacré par l’Allemagne à sa défense, celle-ci est loin derrière les autres pays d’économie comparable (Royaume-Uni, France et même Italie) ; constatation semblable pour les « dépenses par soldat » et le « nombre de militaires rapporté à la population ». Pour que la Bundeswehr, réussisse sa mue, il faut : assurer la sécurité financière de ses investissements à moyen terme, grâce à une augmentation sensible de ses budgets futurs ; résorber rapidement le sur-effectif en personnel civil (125 000 pour 75 000 postes) ; poursuivre et intensifier les rationalisations ; définir une « grande stratégie » gouvernementale qui optimisera les efforts de sécurité de tous dans le cadre tant national qu’européen et dans l’Alliance.
On notera que la diminution d’effectifs prévue (252 000 militaires en 2010 au lieu de 320 000) a stoppé la perte d’efficience de la Bundeswehr, sans lui permettre de remonter la pente. Cette réduction rendra encore plus tendue la satisfaction des obligations de l’Allemagne et ne manquera pas de durcir le problème de l’équité devant le service obligatoire (2).
Comme le général Schnell, le président déplore que l’opinion n’entende plus en Allemagne le terme « sécurité » que comme celle de son poste de travail, de sa santé et de son niveau de vie, oubliant la nécessité des mesures de précaution à prendre pour la protéger de menaces extérieures réelles. Il décide que le « Colloque Berlin 2005 » de l’Association se tiendra du 15 au 17 mars sur le thème « 50 ans de Bundeswehr et 60 ans de Nations unies ».
(1) Ce professeur a longtemps été conseillère économique et politique du Comité consultatif de l’Innere Führung.
(2) Actuellement, la moitié de la classe ne fait aucun service ; 26 % choisissent le service civil de remplacement ; 25 % rejoignent les armées. En 2010, seuls 15 % seront incorporés.