La marine italienne de l'unité à nos jours
La marine italienne de l'unité à nos jours
Michel Ostenc, professeur à l’université d’Angers, aborde ici un sujet rarement traité – et par conséquent en général peu connu – en réunissant les apports de plusieurs spécialistes transalpins, historiens et amiraux. Lui-même s’est réservé au passage un chapitre détaillé sur les écoles navales qui met en lumière les efforts accomplis pour la formation du personnel de tout grade, reconnue déterminante, selon une succession de réformes et d’hésitations marquée toutefois par la forte personnalité de l’amiral Bernotti.
Cette histoire, débutant avec l’unité, couvre donc une période relativement courte, moins d’un siècle et demi, curieux paradoxe pour un pays qui connut les empires maritimes de Rome, Gênes ou Venise. La Première Guerre mondiale vit la marine italienne engagée surtout dans l’étroite zone Adriatique contre des Autrichiens quantitativement dominés, sortant peu de leurs bases, mais loin d’être inactifs sous des chefs comme l’amiral Horthy qui fera parler de lui plus tard en d’autres circonstances. Après la « décision criminelle et inconsidérée » de Mussolini espérant en juin 1940 participer à l’hallali, la Seconde Guerre amena principalement un affrontement en Méditerranée entre deux « lignes d’opérations » perpendiculaires, l’une et l’autre vitales, Nord-Sud pour l’Axe s’efforçant de soutenir le théâtre libyen, Est-Ouest pour les Britanniques accrochés à Malte sur la route reliant Gibraltar au Proche-Orient. Malgré le désastre subi à Tarente en novembre 1940 (on se souvient des émissions de la BBC à destination des Français occupés : « Elle a vécu, Musso, ta flotte tarentine ! »), suivi quatre mois plus tard par l’« exécution capitale » du cap Matapan, le ravitaillement du front africain fut assuré tant bien que mal jusqu’à la fin ; et ceci malgré les erreurs et les exigences de Rommel, descendu sans ménagement de son piédestal en tant que « grand tacticien mais très mauvais stratège ». Au total, les auteurs montrent que, contrairement aux jugements globaux et hâtifs souvent portés chez nous sur le thème des « régiments des mandolines » la marine italienne n’a pas militairement démérité. Le matériel était rapide et de bonne qualité « du point de vue nautique », mais souffrait de défauts rédhibitoires en matière de protection, d’artillerie, d’aéronautique, de conservation du secret… qui, joints à la pénurie de mazout et à des erreurs de conception comme le refus des porte-avions, portaient l’échec en germe.
On sait le sort tragique réservé de par le monde à tant de grands vaisseaux, pourtant gloire des nations et clou des revues navales. Le texte rappelle que « les flottes naissent en un siècle et peuvent mourir en un seul jour ». Les gros bâtiments, « moins utiles en Méditerranée que des croiseurs légers » eurent, par orgueil (et même « exhibitionnisme ») la préférence du Duce qui cumula longtemps le portefeuille de la Marine avec ses fonctions à la tête du gouvernement. Ils connurent pour beaucoup une triste fin. En revanche, les marins italiens excellèrent toujours dans la mise en œuvre des unités légères (voire les « infiniment petites » chères à l’amiral Thaon di Revel). Ils firent merveille sur les fameux « Mas » de 1916 ou les moyens d’assaut engagés avec une audace inouïe à Alexandrie le 19 décembre 1941, lorsque trois officiers déterminés eurent raison de deux cuirassés de Sa Majesté.
Le lecteur, pas plus versé sur la question que l’auteur des présentes lignes, découvrira avec un certain étonnement que les sœurs latines furent dans ce domaine rivales – pour ne pas dire hostiles – pendant près d’un siècle. Dès les années 1880 la jeune marine italienne était la troisième du monde et « nous » talonnait. En 1940, bien que surpassée désormais, outre la Royal Navy, par les États-Unis et le Japon, elle disputait la quatrième place à l’amiral Darlan. Pendant toutes ces périodes, la comparaison fut la règle, la parité l’obsession et l’incompréhension l’habitude, tandis que nos attachés navals à Rome ne chômaient pas. L’intransigeance et l’arrogance gauloises d’après 1945 semblent être restées là-bas sur le cœur, alors que l’attitude de nos voisins au moment de l’affaire algérienne suscite quelques soupçons. Il faut bien reconnaître finalement l’établissement d’une solidarité contemporaine dès lors que, en fait de « mare nostrum », les nations latines se voient aujourd’hui privées de la possibilité de « mener une politique autonome en Méditerranée », dans une « aire en train de glisser dans les mains anglo-américaines » sous le parapluie amicalement directif de la VIe flotte.
Il est salutaire d’entendre parfois le point de vue de l’étranger. Merci à Michel Ostenc de nous en fournir l’occasion. ♦