Frères de tranchées
Frères de tranchées
Sous l’égide de Marc Ferro, trois historiens français, britannique et allemand, consacrent leurs réflexions à la trêve de Noël 1914 ainsi qu’à l’ensemble des phénomènes de fraternisation qui sont survenus sur le front européen lors de la Première Guerre mondiale. Il convient de saluer d’autant plus le travail de ces historiens, qui offrent au public un livre sérieux et documenté, que cet épisode de l’histoire est longtemps resté méconnu. La qualité de l’ouvrage est malheureusement desservie par le choix peu judicieux du titre et de l’iconographie de la couverture.
S’appuyant sur des sources (carnets de soldats, correspondances), largement citées tout au long de l’ouvrage, ils présentent les différentes formes de fraternisation et la complexité de leurs causes : pas seulement la trêve de Noël 1914, récemment illustrée par le film de Christian Carion, et qui en constitue la principale manifestation ; mais aussi un ensemble d’accords tacites, d’une ampleur moins visible et plus durable dans le temps, conclus entre soldats.
Cette trêve est un phénomène initialement germano-britannique qui trouve sa cause dans la dureté des conditions de vie que découvrent les soldats dans les tranchées. La pluie et la boue obligent de remettre en état les tranchées et par conséquent de s’exposer aux tirs pour effectuer les travaux. Ce qui n’est possible que si chacun des camps s’abstient de faire feu sur les hommes qui travaillent à améliorer leur relatif confort quotidien. Elle est renforcée par la communauté de souffrance que se découvrent les hommes alors que, du fait de l’arrivée de l’hiver, fin 1914, ceux-ci comprennent que les combats de grande ampleur n’allaient pas reprendre avant le printemps.
Spontanée, cette trêve est le résultat d’initiatives locales qui lui donnent ce caractère sporadique. Ainsi, en secteur britannique, elle concerne les 2/3 du front, mais elle est davantage marquée dans le secteur de la IIe Armée du général Smith-Dorrien que dans le secteur de la Ire Armée du général Haig où les fraternisations restent limitées.
Bien que les soldats se soient montrés favorables à la cessation des combats, Malcolm Brown souligne le caractère utopique de tels espoirs. En effet, la Belgique et de nombreux départements français étaient toujours occupés. Nombre d’habitants qui avaient été contraints d’évacuer la zone des combats réclamaient la libération de leur territoire.
Si l’histoire de cette trêve attire aujourd’hui l’intérêt du public, il ne faut pas non plus en exagérer la portée. Il s’agit, en l’état actuel des recherches, d’un phénomène limité qui ne doit pas être considéré comme la référence de l’attitude des soldats à cette époque. De toute façon les chercheurs soulignent la difficulté de faire l’histoire de ce phénomène tant les sources sont rares. En effet, conscients de la surveillance dont leur correspondance a fait l’objet, peu de soldats se sont livrés à des récits détaillés. Ils préféraient souvent attendre leur retour, à l’occasion d’une permission, pour raconter ce qu’ils avaient pu voir, alors que nombre d’entre eux choisissaient de taire ce que personne n’aurait pu croire. Il n’en demeure pas moins que ces documents révèlent la capacité de résister au discours belliqueux qui avait cours. ♦