Revue des revues
• Europaïsche Sicherheit, n° 4/2005 : « En dépit de réticences à une intervention au Congo… ».
En décembre 2005, le Conseil de sécurité de l’ONU a demandé à l’UE d’envoyer quelques troupes à Kinshasa pour contribuer à la sécurité des premières élections libres en République démocratique du Congo (RDC), quarante-cinq ans après l’accession du pays à l’indépendance. Elles sont prévues pour le début de l’été. Une RDC stable est effectivement essentielle pour la stabilité de toute l’Afrique centrale. Dans l’UE, seuls Solana et la France — déjà très engagée en Côte d’Ivoire — en semblaient alors bien conscients.
À Kinshasa, des troubles sont en effet à craindre car les principaux candidats y disposent de milices privées et pourraient tenter un coup de force si le sort des urnes leur était défavorable. Une petite troupe disciplinée et bien armée devrait suffire pour intimider ces milices.
Tous les autres membres de l’UE ont alors donné l’impression qu’ils cherchaient à se défiler, multipliant les discordes entre eux et en interne, « page rien moins que glorieuse pour l’Europe ». Elle aurait dû profiter du délai pour étudier comment accomplir le mandat (limites et durée de la mission ; qui accepte de diriger l’intervention, qui enverra un contingent) et charger M. Solana d’aller aussitôt recueillir à Kinshasa l’accord du gouvernement de la RDC (1).
L’UE a déjà fourni 300 M€ d’aide humanitaire au Congo depuis la fin du règne de Mobotu et a prévu 140 M€ pour la tenue de ces élections. Elle affiche une volonté de contribuer à la stabilité en Afrique, mais son attitude laisse planer des doutes sur le sérieux de celle-ci. On peut aussi se demander si elle a la capacité actuelle de monter une grande opération autonome sans recourir à certains moyens de l’Otan.
Le fond du problème est maintenant d’envoyer 1 500 hommes dans une mission non exempte de risques, et de les déployer à Kinshasa pour le 18 juin 2006, date du début des élections.
Les militaires font remarquer que le délai est maintenant bien court pour prendre les dispositions préliminaires (logistique, etc.) indispensables. La Bundeswehr souligne, de plus, qu’elle va être contrainte d’engager des hommes récemment rentrés d’opérations extérieures, sans pouvoir leur accorder la totalité du temps de stationnement en métropole promis.
Enfin, on devrait également réfléchir à ce qu’il faudra faire si le calme ne revenait pas rapidement dans la capitale après le vote ou si, une fois les troupes rentrées en Europe, des troubles reprenaient, là ou ailleurs. « La responsabilité de l’UE ne peut prendre fin une fois ses soldats revenus au pays. Si on va au Congo, il faut avoir aussi une vue prospective de l’avenir ».
• « Un rapport compétent et sans langue de bois ».
R. Clement félicite R. Robbe, le Wehrbeauftragte (délégué du Parlement à la Défense), pour la qualité et la franchise de son premier « Rapport annuel sur l’état de la Bundeswehr ». Sans s’appesantir sur quelques spectaculaires erreurs individuelles, il s’attaque directement au fond des problèmes, et son pronostic est plutôt sombre. Adapter constamment les forces aux situations toujours nouvelles est évidemment indispensable : la transformation en cours devra se poursuivre bien au-delà de 2010. Répéter dans « les discours dominicaux » que le processus est centré sur l’homme ne suffira pas. Le soldat qui vole d’une Opex à la suivante sans avoir toujours le temps de souffler suffisamment au pays entre deux, qui voit son corps de troupe dissous ou radicalement modifié dans sa structure, qui doit souvent changer de garnison, sent basculer son cadre de vie personnel et familial. Pour participer de bon cœur à la transformation, il a besoin que ses efforts soient reconnus et fassent l’objet de mesures concrètes. La nouvelle coalition a ouvert son règne en rediscutant certaines indemnités, dont sa « prime de Noël ». Signal regrettable !
Rattachés à la fonction publique, les militaires sont payés sur la même grille qu’elle. Avant les élections, Strück demandait qu’ils bénéficient d’une autre grille tenant mieux compte de leurs sujétions spéciales : on l’a bien fait pour les professeurs d’université… L’accord de coalition a reconnu le bien-fondé de l’idée mais, après cent jours au pouvoir, on n’en parle toujours pas. Certains soupçonnent qu’elle voulait surtout « calmer ce front ». Qu’en est-il aujourd’hui ?
Des problèmes sont pressants.
- L’effectif « santé » est calculé trop juste. Certes, en Opex, ce soutien est du même ordre qu’en hôpital civil de Kreis (canton). Bien ! Mais les hôpitaux militaires en Allemagne sont exsangues : trop de personnels partis en Opex ; surcharges très importantes lors de grandes manifestations de société (JMJ, Coupe du monde, etc.). Insuffisance des effectifs aussi dans les « troupes d’information opérative », l’Alat, les Feldjäger (prévôté-circulation), les transmissions, le génie, etc. « Une longue liste »…
- Question connexe à la santé : la « loi du soutien des opérations » est une première bonne mesure pour les accidentés en intervention, mais, une fois guéris, les blessés doivent bénéficier d’une garantie d’emploi, même s’ils ne sont plus totalement « aptes service armé ». Jung assure qu’il s’en occupe dans le secteur Bundeswehr. Reste à en définir les modalités. « Rien n’indique encore quand et comment des actes viennent confirmer les paroles. »
- Les matériels sont un facteur puissant de la motivation du soldat. Robbe signale deux pierres d’achoppement. On n’a pas encore trouvé suffisamment de transports blindés pour la NRF dont l’Allemagne prend le commandement pour six mois, mission de haute importance politique pourtant (en dépendent son influence et sa voix au chapitre dans l’Alliance). Il y a déjà eu des « couacs » en opérations : Kaboul, Pâques 2005, un kamikaze fait sauter un bus transportant des soldats, plusieurs victimes (ensuite seulement, les bus en Afghanistan ont été remplacés par des camions blindés) ; Kosovo, printemps 2004, face à des foules furieuses, la Bundeswehr est incapable d’avoir la réaction appropriée, faute d’équipements anti-émeutes. « Or, ces incidents ne sont pas tombés du ciel ; ils étaient prévisibles ».
- Budget militaire : un budget est de la politique traduite en chiffres. Ses priorités sont hautement politiques. Ceux qui, de plus en plus, emploient l’armée comme instrument de leur politique ont le devoir de faire le choix entre mettre en œuvre tout ce qui est nécessaire pour exécuter les ordres qu’ils donnent, et limiter les missions ; au minimum, ne pas en rajouter. Voilà les bases sur lesquelles on peut discuter d’une intervention au Congo. Jusqu’à présent, tout s’est bien passé, mais, à trop exiger d’une troupe, on la démotive et les vrais responsables en sont les hommes politiques (2). En octobre dernier déjà, le président Köhler s’était inquiété, à la réunion du commandement, d’un désintérêt positif : « Puisque les soldats ont conscience qu’ils font bien leur travail, il n’y a pas à se faire pour eux trop de soucis ». Si un incident de grande ampleur se produisait, avec davantage de victimes (qu’à Kaboul), quelles seraient les répercussions sur le moral ?
Organe, non du gouvernement, mais du Bundestag, le Wehrbeauftragte expose dans une langue claire, avec beaucoup de compétence et d’intuition, des manques connus depuis longtemps des spécialistes. Le mérite de son rapport est double.
- Membre d’un parti présent dans la coalition au pouvoir, Robbe est bien placé pour orienter les discussions des
groupes parlementaires et les débats du Bundestag sur la situation réelle dans les armées. Considéré comme une enceinte « neutre », on ne saurait lui reprocher d’être à la fois juge et partie, comme le ministre ou le Generalinspekteur, parfois suspectés de présenter un plaidoyer pro domo.
- Ce rapport est maintenant à l’agenda du Bundestag qui aura à prendre, en connaissance de cause, nombre de décisions ayant des répercussions possibles sur l’état d’esprit des militaires.
Le système Bundeswehr est un ensemble délicat ; le soldat flaire vite si on le traite de manière trop technocratique, ou s’il aura à supporter un surcroît de charges pour des raisons valables. Il réagit très rapidement aussi aux bonnes nouvelles. Si on lui annonce des mesures judicieuses, il tend l’oreille. Il peut comprendre que certaines décisions exigent des délais pour devenir effectives. Il ne demande qu’à participer activement, à condition d’être bien informé de ce qui va lui arriver, et à quel moment. Il veut être sûr aussi que le chemin sur lequel on le conduit mène bien au but proclamé. Son état d’esprit est très sensible. Actuellement, ses réflexes le portent plutôt au scepticisme.
« Pour rendre ceux-ci plus positifs, la politique est à redresser. Sans quoi, sa motivation risque d’en prendre un coup. Le rapport de Robbe fait toucher du doigt qu’un fléchissement de motivation mérite d’être pris au sérieux ». ♦
(1) M. Solana ne s’est rendu à Kinshasa que le 15 mars 2006 et a obtenu l’accord.
(2) Schneiderhan, ardent promoteur de la réforme et expérimenté dans son poste, dit qu’il voudrait bien « fiche à la porte des bureaux ce nouveau sport : geindre tout ce qui foire ici, c’est la faute à la transformation ».