Les renseignements en question
Les renseignements en question
Aborder cet ouvrage en comptant y trouver les habituelles critiques sur l’aventure irakienne de nos amis américains ou sur les agissements d’une Maison-Blanche si volontiers noircie serait un contresens révélant une lecture incomplète du sous-titre : « De Ford à Reagan ». Nous voici donc plongés dans un entre-deux-guerres et, comme le temps passe, il ne s’agit plus de parcourir le chemin de Versailles à Dantzig, mais bien du Viêt-nam au Golfe. Nous avons apparemment affaire à un livre d’histoire, encore que… il subsiste bien des constantes et des sujets de réflexion tout à fait d’actualité, jusqu’à l’excellente et brève conclusion où sont regroupés quelques termes révélateurs : « machine lourde… manque de transparence… lutte entre le législatif et l’exécutif… graves erreurs d’appréciation… », pour terminer sur une question d’apparence désinvolte, mais non moins judicieuse : « La politique étrangère de la première puissance mondiale serait-elle (en partie) fortuite ? ».
La machinerie présidentielle et gouvernementale, d’où proviennent les décisions majeures, est décrite avec une précision qui ne compense pas totalement la complexité de l’édifice : cabinet, « départements », agences… dont bien entendu la fameuse CIA qui a succédé en 1947 au romanesque OSS d’après Pearl Harbor et qui « fascine ou inquiète ». Il faut consentir une certaine dose d’attention pour parvenir à distinguer les rôles respectifs du National Security Advisor, situé à « une place de premier plan » où brillèrent les noms de Kissinger et de Brzezinski et du Director of Central Intelligence, poste-clé assez curieusement lié à la marine et aux universités et où on retient le passage d’Allen Dulles ou de Casey. Rivalités et tensions animent ce macromicrocosme, « cercle étroit d’initiés » où le degré d’influence des uns et des autres oscille d’un président à un autre.
La liberté d’action de l’exécutif est étroitement bridée par le contrôle du Congrès. Le « droit de savoir » de celui-ci et l’ampleur de ses investigations ont été comme attisés par l’échec vietnamien. En affirmant mesurer à la fois le poids de la charge des responsables, mais aussi l’importance des fonds mis en jeu, les commissions parlementaires ont découvert bien des dérives et ne se sont pas privées de s’élever contre « l’abus des opérations clandestines… les pratiques allant à l’encontre des libertés fondamentales des citoyens… » voire les assassinats politiques. Il est vrai que finir par procurer des armes à l’Iran, fût-ce pour abattre des régimes hostiles en Amérique centrale, est bien aventureux ! En contrepartie, il devient difficile d’éviter les fuites vers une presse aux aguets, ainsi que la divulgation de l’identité des agents (cf. récente affaire Palme), alors que les activités illégales ont au moins le mérite de procurer « une manière détournée d’éviter les risques d’enlisement d’un engagement direct ».
Le célèbre équilibre des « checks and balances » ne parvient pas à procurer une harmonie garantie. On ne peut éviter à Washington un « jeu subtil de rapports de force ». Il semble en tout cas que « la présidence impériale n’est plus qu’un souvenir ». Il reste les hommes chargés d’évoluer dans ce délicat contexte, tout en obtenant les informations et les résultats que requiert leur fonction. Certains fusibles, comme Poindexter ou North, y laissent leur honneur et leur liberté, mais on retient tout de même dans la liste, pour la période considérée, la stature de Reagan, la façon dont il s’imposa par un curieux mélange d’intuition, d’autorité naturelle, de modestie feinte, de franchise désarmante et d’humour décapant. Il fut capable d’attirer et de conserver des fidèles.
Les très nombreuses citations sont en VO, comme on dit au cinéma. Certes, la traduction n’en est pas très difficile et l’authenticité y gagne. On sait que seuls les primates ignorent désormais la langue de Shakespeare et préfèrent les sous-titres. Il suffit de savoir à quel public le livre s’adresse. ♦