Une vie d'Afghanistan (entretiens avec Sébastien Brabant, Marc Hecker, Paul Presset)
Une vie d'Afghanistan (entretiens avec Sébastien Brabant, Marc Hecker, Paul Presset)
Les livres d’entretien sont souvent décevants. Tel n’est nullement le cas du livre de l’ambassadeur d’Afghanistan à Paris. Visiblement, l’homme, qui a effectué ses études secondaires puis universitaires en France (thèse de droit public en 1977, assistant, maître-assistant puis professeur), a soupesé chacune des questions posées et a relu, avec attention, ses réponses. Il en ressort un ouvrage à la fois très vivant et concret, mais aussi très informé et pensé pour ce qu’il en est du destin, exceptionnel qui fut celui de son pays depuis ces trois dernières décennies. Le regard qu’il porte sur l’Afghanistan, son évolution, le contexte international dans lequel il a évolué est des plus aiguisés et stimulant. C’est que l’homme appartient à la haute société afghane, lettrée. Son père, président de la Cour de cassation, puis vice-ministre et ministre de la Justice, bien que non francophone, était francophile, comme le furent dans les années 30-60, maintes élites afghanes, au premier chef le roi Zaher Shah, ancien élève de Janson de Sailly. Il possédait un exemplaire de L’Esprit des lois en dari. Son oncle paternel, poète très connu en Afghanistan fut ministre de la Culture dans les années 50. Alors qu’il s’apprêtait à revenir en Afghanistan, au printemps 1978, intervint le coup d’État communiste qui mit fin au pouvoir de Daoud, en place depuis juillet 1973. Il dut rester en France où il entama une brillante carrière universitaire, comme en témoignent les nombreux ouvrages de droit économique international dont il est l’auteur.
Zalmaï Haquani, est un homme de double culture, cela se ressent à ses raisonnements, ses propos et ce n’est pas le moindre intérêt de ses entretiens qui fournissent toujours des points de vue éclairés, complets, presque multidimensionnels.
Les premiers témoignages qu’il livre sur son enfance et son adolescence sont précieux et révèlent encore un pays à l’écart du progrès. En 1955, il n’y avait que deux rues asphaltées à Kaboul. Le pays était pauvre, mais calme, la sécurité y régnait en province où il se rendait, parfois seul à Kandahar, ville natale de son père, un pachtoune. Mais déjà l’Afghanistan devint l’enjeu des grandes puissances. En 1953 le vice-président Richard Nixon se rend à Kaboul pour convaincre ses dirigeants à adhérer au Cento (1), ce qu’ils refusent, entraînant une diminution puis l’interruption de l’aide américaine après 1955 et la crise de Suez. Les Soviétiques en profitèrent alors pour former les officiers afghans avec succès puisque ce sont eux qui furent les auteurs du coup d’État d’avril 1978. C’est de France qu’il vécut l’invasion de son pays par l’Armée rouge le 27 décembre 1979, la France qui avait initié une politique de coopération culturelle sous de Gaulle et tout le monde se souvenait du voyage de Georges Pompidou en Afghanistan en mai 1968 qui se rendit à cette occasion à Bamiyan. Son témoignage sur la résistance afghane, telle que celle-ci s’organisa à l’étranger et notamment en France est précieux. Puis il livre des impressions de première main sur les débuts de la guerre civile à partir de 1992. « L’Alliance du Nord » a toujours été un label réducteur, car les forces du commandant Massoud agissaient aussi à l’Est et au Sud. Il apporte quelques corrections sur la rapidité avec laquelle les taliban se sont emparés du pouvoir, en faisant remarquer que le mouvement des taliban avait été fondé dès 1964. Mais il est vrai qu’ils progressèrent vite par la suite contrôlant 30 % du territoire en 1994, 50 % en 1996, et 75 à 80 % en 2001, avec ces moyens techniques énormes.
Puis Zalmail Haquani est devenu le conseiller pour les relations internationales de Massoud, après l’avoir rencontré en avril 2001, et à nouveau fin septembre. Puis il fut nommé en 2002 ambassadeur en France, chose inédite car il possédait la double nationalité.
Cette relation achevée, parcours vivant et commenté de l’histoire afghane des quatre dernières décennies, la seconde partie du livre porte sur l’Afghanistan, un enjeu mondial. En une centaine de pages c’est toute l’histoire, la position du pays sur l’échiquier régional et mondial, le dessous des luttes qui est exposé, commenté, véritable source de savoir et de co-naissance.
Membre de la SDN, puis un des premiers membres de l’ONU, l’Afghanistan ne fut pas seulement une belle au bois dormant au sein de ces organisations mondiales. Elle a été la première, par exemple, à introduire la question du commerce des « pays sans littoral » ; elle fut présente à Bandung, fit partie du groupe des 77.
Qu’il s’agisse de relater les rapports avec l’Occident, d’apprécier le travail de l’ONU ou l’Eurocorps ou de l’Office d’aide humanitaire (Echo) ou de l’Isaf, ses commentaires sont stimulants. L’Afghanistan, fait-il observer, est rattaché à divers sous-régions et cela définit sa position charnière. Pour certains, elle fait partie de l’Asie du Sud, l’Administration Carter créa un sous-département « South-West Asia » où il fut placé ; pour d’autres le pays appartient à l’Asie centrale ou encore à l’Asie médiane. Zalmaï Hauquani passe au crible les relations avec le Pakistan, de loin le premier partenaire commercial, et s’étend sur la question controversée du Pachtounistan, puis fait le point des rapports avec l’Ouzbékistan, le Tadjikistan, l’Iran, que Kaboul a défendu dans son conflit avec l’Irak de 1980 à 1988. Ainsi que la Chine avec laquelle elle partage une portion de frontière, l’Afghanistan abritant des réfugiés ouïgours.
Ses dernières réflexions sur la reconstruction du pays sont tout aussi motivantes, qu’il s’agisse de l’attitude vis-à-vis du terrorisme, de l’économie ou des premiers balbutiements de la jeune démocratie afghane. Une riche chronologie, de fortes annexes, fournissant les textes essentiels (accords de Bonn de 2001…) une bibliographie, le tout en près de soixante pages clôturent cette série d’entretiens qui fournissent un panorama fort complet, stimulant sur l’Afghanistan d’aujourd’hui et de demain, qui n’est pas en passe de quitter l’agenda international. ♦
(1) Organisation construite sur le modèle de l’Otan (Iran, Pakistan, Royaume-Uni, Turquie).