Guerre d'Algérie : les prisonniers des djounoud
Guerre d'Algérie : les prisonniers des djounoud
Médecin-aspirant dans l’Ouarsenis en 1958-1959, le docteur Sudry a relaté ses souvenirs de sa mission d’assistance médicale des populations dans un premier livre : L’œil du monde. En 2002, il a cherché à rencontrer d’anciens prisonniers du FLN et à recueillir leurs témoignages. N’ayant pas eu accès aux archives classifiées du Service historique de l’Armée de terre (Shat), il a complété sa recherche par la consultation d’ouvrages dont l’objectivité n’est pas la qualité première. Ainsi les listes de prisonniers attribuées à la Fnaca ont-elles en fait été établies par Oswald Calegari de l’UNC. La trentaine de témoignage recueillis ne fournit donc pas une histoire exhaustive des prisonniers du FLN, mais elle relate de façon réaliste les conditions de leur capture et de leur détention.
Les différents chapitres décrivent la détention des prisonniers au Maroc et en Tunisie, de ceux qui sont restés en Algérie, les évasions réussies, les captures après le cessez-le-feu, ceux qui ont complètement disparus, et les problèmes de santé en détention et après libération.
Ceux qui ont été capturés en Oranie et dans l’Est algérien ont dû marcher deux ou trois mois, à raison de 30 kilomètres par jour, parfois pieds nus, enchaînés par deux. Ils relatent les conditions dans lesquelles les djounoud franchissent les barrages : shunt du réseau électrique, échelles doubles, tonneaux, souterrain ou bungalore. Ils bénéficient ensuite, à Oujda et Tunis, de conditions de confort acceptables, et certains sont libérés au bout d’un an, à l’occasion d’une cérémonie réunissant Croix-Rouge internationale, Croissants rouges, autorités tunisiennes et même la princesse Lalla Aïcha.
Les conditions les plus dures sont celles des prisonniers en Algérie, dans les mains des Wilayas 3 et 4 (Kabylie et Algérois). Gardés dans des grottes insalubres ou des cabanes, obligés de fuir, enchaînés, pour échapper aux opérations, sous-alimentés, ils subissent les brutalités de certains gardiens, sont parfois battus par des vieilles femmes. Malades, ils sont soignés par un service de santé généralement bienveillant, mais insuffisant (un infirmier au niveau de la kasma). Plusieurs sont abattus par décision d’Amirouche, qui a la cruauté d’écrire alors à la famille. La mort d’Amirouche le 28 mars 1959 semble apporter une certaine détente, et une vingtaine de prisonniers sont libérés à Yakouren le 18 mai.
Quelques détenus sont libérés lors d’une opération. Deux évasions de groupe (6 et 8 prisonniers) et trois individuelles sont décrites avec précision. Mais si l’on fait le décompte, le nombre de disparus, présumés décédés, dépasse largement le nombre des libérés. Sur 263 Européens (chiffre officiel de l’état-civil, qui reste à vérifier), une cinquantaine ont été libérés en 1958 et 1959 ; en avril 1962, au moment où la France libère des milliers de détenus, il ne reste que 9 prisonniers français. Les autres sont morts de maladie, de faim, de soif, et de mauvais traitements. Les officiers, dont deux médecins, ont été abattus. Quant aux 283 soldats musulmans capturés, on ignore tout de leur sort (1).
Après le cessez-le-feu, massacres et enlèvements se multiplient. Le soldat Aussignac, soumis aux travaux forcés en juillet 1962 dans la mine de Miliana, réussit à s’échapper en mars 1963 ; il est alors accusé de désertion ! Quant aux harkis, certains sont forcés de casser des cailloux à la main, ou de déminer les barrages, 2 500 sont visités dans leur prison en 1963 par la Croix-Rouge, 500 sont libérés en 1963 et acheminés sur le camp de Rivesaltes.
Les séquelles traumatiques des survivants sont fréquentes : cauchemars, amnésie psychique, angoisse, boisson. Après une période de latence, leur aggravation progressive a nécessité la création en 1983 de commissions médicales spécialisées.
En conclusion, le docteur Sudry exprime l’espoir que la déclaration d’Alger de mars 2003 permettra de réconcilier Français et Algériens. Il souligne le fait que ces derniers restent attachés à la culture française, et que les fils d’immigrés qu’il connaît se déclarent intégralement et passionnément français. Il faut lire son livre. ♦
(1) Contrairement à ce qu’affirme l’auteur. Le FLN a ratifié les conventions de Genève, non en 1956, mais en avril 1960, et ne les a pas appliqués ; en novembre 1960, le ministre Mehri répond aux demandes du CICR qu’il n’a aucune liaison avec les wilayas et ne peut fournir une liste de prisonniers (archives du CICR BAG 210-008 à 013).