Mutations des territoires dans le monde à l'aube du XXIe siècle
Mutations des territoires dans le monde à l'aube du XXIe siècle
Il est intéressant de lire cet ouvrage à la lumière de la Géopolitique d’Yves Lacoste. Bien qu’il s’agisse d’une approche géographique et économique, les auteurs touchent aussi d’assez près à la géopolitique. Ce sont par ailleurs, peu ou prou, les mêmes pays ou zones qui sont traités ici à la demande de la société royale belge de géographie à l’occasion de son 125e anniversaire. Le monde a considérablement changé au cours du quart de siècle 1975-2000, choisi comme cadre d’analyse même si la plupart des données statistiques sont postérieures.
Premier sujet traité, l’Union européenne dont le poids économique à 25 n’est pas si éloigné que cela de l’Alena : 21,2 % du PIB mondial en 2000 contre 25,6 %, bien que l’écart a dû s’agrandir compte tenu du différentiel de croissance entre les deux pôles principaux de l’économie mondiale. En effet, de 1990 à 2001 l’Europe occidentale à 15 n’a contribué qu’à concurrence de 15,1 % à la croissance mondiale, l’Europe orientale pour 0,7 % alors que la part de l’Amérique anglo-saxonne se situait à 23,3 % et celle de la Chine à 24 %. Ces seuls chiffres, s’ils viennent à se prolonger, en disent long sur les rapports de forces à venir, sachant bien que le Japon qui n’avait contribué qu’à hauteur de 3 % dans la croissance mondiale a vu depuis sa part se relever de manière significative.
Autre donnée dans cette appréciation des rapports de puissance, la variable démographique. L’indice synthétique de fécondité des États-Unis se situe à 2,1 ; ce qui veut dire que son renouvellement démographique est assuré, alors que celui de l’Europe n’est que de 1,4. Et il y a peu à espérer d’une évolution de ces taux à l’horizon 2025 : 2 pour les États-Unis et 1,6 pour l’Europe. Dans quel monde vivrons-nous si l’Europe à 30 ou 33 stagnera à environ 550 millions d’habitants, alors que les États-Unis se situeront (immigration incluse) entre 350 et 400 millions ; que la Russie se sera maintenue avec difficulté à 120 à 130 millions ; que la Chine et l’Inde auront dépassé le cap du 1,4 milliard ?
L’article sur l’Europe présente deux Europe alors qu’au vu de la carte des PIB en parité de pouvoir d’achat on voit aisément ressortir, si l’on inclut l’Ukraine et l’ex-Yougoslavie, six niveaux différents avec des revenus allant de 2 000 euros par tête, à plus de 30 000 dans le cas de la Suisse et du Luxembourg.
Une autre contribution porte sur les frontières de l’ex-URSS. Il s’avère que bon nombre de ces frontières n’ont pas encore reçu de statut légal, elles n’ont été ni définies, ni délimitées, bien que ce processus soit en cours. L’espace de sécurité antiaérien de la Fédération de Russie ne s’y limite d’ailleurs pas. Moscou garde des bases en Biélorussie, en Géorgie, en Moldavie, en Arménie et en Ukraine (Sébastopol). D’autre part, le statut réel de plusieurs frontières politiques et administratives ne correspond pas à leur statut formel. Celle entre la Tchétchénie et les régions russes voisines n’est certainement pas une simple frontière administrative. Les cas du Caucase et de la Moldavie illustrent cette situation de flou et d’imbrications entre frontières, populations et intérêts de sécurité. Les nouvelles zones frontalières de la Russie se distinguent aussi par l’étendue et la variété exceptionnelle de leurs caractéristiques. La frontière entre la Russie et le Kazakhstan (plus de 7 000 km) est la plus longue frontière terrestre du monde. Ces frontières peuvent être classées selon leur rapport avec les limites ethnoculturelles, à densité économique du territoire, le nombre et l’importance des axes de communication qui les traversent. D’où il résulte que les fonctions de ces frontières sont différenciées. Le bassin Méditerranéen paraît un espace évolutif, un espace où circulent des flux permanents de marchandises et de personnes. De l’Égypte à l’Afghanistan, le Proche et Moyen-Orient s’étire sur plus de 8 millions de km2 répartis inégalement entre 17 entités territoriales, Territoires palestiniens compris. Sa population est passée de 150 millions en 1970 à 340 millions en 2000. Cette région, l’isthme Bosphore, canal de Suez, détroit de Bâb-el Mandeb et détroit d’Ormuz est la plus dangereuse du monde du fait de l’imbrication de ses multiples enjeux (islam, pétrole, conflit israélo-arabe, chiisme-sunnisme, eau, question alimentaire, migrations…).
Les autres grands pays (Chine, Inde, Japon) ou les continents (Afrique et Amérique latine) sont traités de même. La population de l’Amérique latine est passée de 313 millions à 508 millions. Plus intéressant encore est d’observer les dynamiques spatiales qui se situent au nord, à la frontière Mexique-États-Unis, dans le monde andin et l’Amazone et dans la banane sud Brésil-Santiago du Chili. Partout le statut et la richesse des territoires, des nations et des États ont été transformés sinon bouleversés, les frontières ont changé de statut, les migrations se sont modifiées portant sur 30 % de la population mondiale. Les notions de centre et de périphérie ont tendance à s’estomper ou se concentrer désormais à l’intérieur de grands espaces commerciaux comme ceux de la Chine, où les pouvoirs locaux ont acquis une importance accrue ; avec le risque pour le pouvoir central de mal maîtriser l’indomptable croissance chinoise qui caracole à plus de 10 %. Peu de belles cartes dans cet ouvrage, plus de données économiques et de raisonnements théoriques toujours stimulants. ♦