La posture stratégique des États-Unis demeure marquée par l’héritage du 11 septembre 2001. La « guerre contre le terrorisme », tout comme la doctrine de « préemption » américaine, sont, en effet, les conséquences stratégiques de ce traumatisme psychologique. Devant l’échec en Irak, une révision stratégique fondamentale pourrait intervenir. Celle-ci n’est cependant pas vraisemblable tant que George Bush sera au pouvoir.
« A nation at war »
A nation at war
The strategic posture of the United States is still marked by the legacy of 11 September 2001. The ‘War on Terror’, like the US doctrine of pre-emption, is a strategic consequence of this psychological trauma. A fundamental revision of strategy could result from the reverse in Iraq. Yet this does not seem likely while George Bush remains in office.
Alors que le conflit en Irak entre dans sa cinquième année, le mécontentement à l’égard de la politique menée par l’Administration Bush ne cesse d’augmenter. L’Administration républicaine a depuis quelques mois pris acte du désaveu populaire croissant et a entrepris quelques adaptations sur le front intérieur. La démission de Donald Rumsfeld, la relève des généraux en Irak et le decrescendo perceptible du discours officiel sont autant d’ébauches de réponses aux critiques. Les éléments les plus récents — nomination de Robert Gates au Department of Defense, discours sur l’état de l’Union de janvier 2007, annonce de la nouvelle stratégie en Irak — traduisent-ils pour autant une révision stratégique en gestation, ou ne sont-ils que des inflexions tactiques qui ne modifient pas vraiment la stratégie d’ensemble des États-Unis ?
Le choc du 11 septembre 2001
« We are a nation at war » : l’antienne du président Bush résume à elle seule la posture stratégique des États-Unis. L’Amérique se vit en effet comme un pays en guerre depuis les attentats du 11 septembre 2001 et cette vision perdure. Cette date, symbolique de la prise de conscience brutale de la vulnérabilité d’une nation sûre de sa puissance, a profondément modifié sa vision du monde. En effet, la croyance en un « nouvel ordre mondial » dominé par l’hégémonie bienveillante des États-Unis s’effondre en même temps que les tours jumelles du World Trade Center. Traumatisme psychologique autant que stratégique, ces attentats révèlent en effet un monde dont les menaces sont connues et ont presque toutes été imaginées, mais que le confort de la décennie précédente a simplement conduit à ne pas prendre en compte. Ils entraînent, en outre, une mutation durable de la façon dont les États-Unis perçoivent leur puissance dans un monde devenu étranger et dangereux. Ils mettent aussi fin à la vision d’une Amérique sanctuarisée. Menace principale qu’il faut combattre et contre laquelle il faut se prémunir. Le terrorisme est désormais l’ennemi ontologique des États-Unis ; et la « guerre contre le terrorisme » est vécue comme un conflit existentiel (Long War) que les Américains ne peuvent se permettre de perdre (1). Le pays a besoin d’un ennemi et ce dernier doit subir tout le poids de la puissance américaine : c’est l’opération Enduring Freedom en Afghanistan.
Par ailleurs, le 11 septembre 2001 ouvre le champ des possibles stratégiques. Comme l’affirme avec cynisme Donald Rumsfeld après les attentats : « Tout comme la Seconde Guerre mondiale, le 11 septembre crée des opportunités pour refaçonner le monde ». La Global War on Terrorism (Gwot) devient dès lors l’orientation stratégique majeure qui constitue le « défi de toute une génération » (2), tout en créant les conditions susceptibles de pérenniser la supériorité américaine. Selon la lecture américaine des enjeux et des menaces, seule l’hégémonie stratégique des États-Unis est en effet capable de garantir la sécurité nationale. Le maintien du leadership, corollaire indispensable de l’hégémonie, est au centre des préoccupations de l’Administration, magnifié par l’hubris d’une nation meurtrie et désireuse d’accomplir seule son devoir de vengeance. Dès octobre 2001 et l’intervention en Afghanistan, Washington va ainsi veiller à conserver la mainmise sur la gestion de la lutte contre le terrorisme à l’échelle mondiale. De manière générale, le 11 septembre a ouvert la possibilité pour les États-Unis de redéfinir les modalités mêmes de leur puissance au sein d’un ordre mondial définitivement sorti du cadre référentiel de la guerre froide.
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