Revue des revues
• Europaïsche Sicherheit, n° 2/2007 : « Le soldat à l’ère de la mondialisation ».
Generalinspekteur der Bundeswehr (Cema), le général W. Schneiderhan rappelle que « l’image du soldat, sa place et son rôle dans l’État et la société ont toujours évolué au rythme de ceux-ci ». Assez lent pendant le XIXe siècle, il reçoit depuis les dernières années du XXe l’impulsion d’une mondialisation galopante, espoir d’amélioration de son sort pour la majorité de l’humanité, et qui innerve progressivement toutes les activités humaines. La politique nationale de sécurité est contrainte d’intégrer maintes nouveautés :
– Progrès technique rapide, qui transforme le sens du cadre espace-temps ; les frontières ne protègent plus de dangers soudains partis de fort loin.
– Fragilité des sociétés développées à des agressions sur leur mode de vie, leur commerce, leurs réseaux informatiques…
– « Privatisation » des conflits : terroristes, seigneurs de guerre, mafias privent les États du monopole de la violence et mènent des guerres souvent « lucratives ».
– Existence d’États en faillite, incapables d’assurer chez eux un ordre sûr. Les remettre sur pied exige des efforts internationaux coûteux et, d’autant plus prolongés que l’adversaire n’a pas intérêt au retour de la paix : « Maintes régions vivent ainsi aujourd’hui l’insécurité totale qui sévissait en Allemagne pendant la guerre de 30 ans ».
– Grandes guerres entre États peu probables, mais multiplication de conflits armés intra-étatiques pour des causes variées (religion, ethnies, économie…) ; droit des gens non respecté, victimes essentiellement civiles.
– Menace majeure actuelle : dans un monde musulman profondément divisé, des fondamentalistes ont créé un terrorisme international qui prétend détruire les sociétés occidentales et instaurer un « califat mondial ». N’ayant aucun respect de la vie humaine, ces candidats au martyre sont insensibles à toute dissuasion.
Comme jadis, la fonction primaire du soldat reste de protéger ses concitoyens contre dangers, risques et menaces. Dans un univers en pleine mutation, ceux-ci se sont transformés et mondialisés, rendant nécessaire d’aller les rencontrer là où ils naissent. Les raisons de servir du soldat en deviennent plus complexes et plus pesantes. Il faut en discuter à fond, sans cacher les risques éventuels, et expliquer au soldat, dont le type ancien est devenu insuffisant, tout ce qu’on attend de lui. On lui demande davantage de flexibilité, de formation et une grande diversité d’aptitudes pour s’adapter en permanence à des situations qui évoluent rapidement. Mission la plus probable, la stabilisation recouvre, dans des cadres culturels chaque fois différents, des activités allant de tâches quasi-civiles ou policières jusqu’au combat sérieux. Bien que moins fréquent, « ce dernier reste pourtant la compétence-clé pour tout destin de soldat ».
Dans ces conflits asymétriques, il faut à la Bundeswehr un encadrement de haute compétence sociale, capable (même à des échelons relativement modestes) de penser par ensemble, de communiquer, prêt au conflit comme au consensus, donc des chefs avides d’apprendre, physiquement et mentalement robustes, comme toujours, et qui prennent conformément à l’Auftragstaktik (conduire par missions larges) des décisions judicieuses, tout en sachant que certaines peuvent avoir ensuite en métropole des implications politiques dont l’opinion suivra attentivement la discussion.
Face à des dangers globaux, transformer la Bundeswehr est l’unique réponse possible. Tandis qu’une réforme cherche à créer un état stable, la transformation est un processus permanent, dynamique, ouvert au progrès et au retour d’expériences. Ses deux moteurs sont, l’exploitation rapide des techniques nouvelles, une politique de sécurité en perpétuelle adaptation aux modifications des menaces. Le récent Livre blanc gouvernemental a précisé la direction générale et décrit le cadre des actions, sans remplacer ce processus inséré dans tous les domaines de la vie et de la politique puisque la mondialisation a des effets sur chacun de nous. Basé sur l’emploi des forces en se concentrant sur les modes d’action les plus probables, il ne permet pas toutefois d’en établir un calendrier ne varietur, quel que soit le désir d’une sécurité de planification absolue.
On demande énormément au personnel militaire et civil de la Défense : accepter les restructurations et fermeture de garnisons, les mutations qu’elles entraînent et qui obligent chacun à repenser son cadre de vie personnel et familial, sans parler des séparations fréquentes consécutives aux départs en Opex. Le thème « compatibilité entre famille et service » prend une importance accrue et va faire l’objet d’un « concept partiel » (1). Plus que jamais, la sollicitude envers les subordonnés fait partie des devoirs de tout chef. Le Dienstherr (« le patron » ; ici : l’État – NdT) prend toute sa part du rôle accru d’assistance qui lui incombe :
– Un réseau de 31 « centres pour les familles » des militaires est en place pour répondre aux besoins particuliers des ménages et des enfants, notamment lorsque leur chef est en mission à l’étranger.
– La « Loi sur la parité dans le service » traite également de moyens d’établir la compatibilité entre vie familiale et service.
– La « Loi sur l’assistance en opérations » (2004) améliore les mesures en faveur des victimes de blessures, d’accidents, de maladies reçues en intervention extérieure. Une autre loi (en préparation) la complétera pour fixer le sort ultérieur de ces victimes, une fois celles-ci guéries : indemnités, poursuite d’une carrière militaire, ou accès à un emploi civil. Chaque militaire bénéficiera alors d’un « paquet complet de sécurité sociale » ; c’est « un devoir de camaraderie », sans oublier que des centaines de blessés de la Seconde Guerre mondiale ont puissamment contribué à la mise sur pied de la Bundeswehr.
Pour recruter en nombre et en qualités le personnel voulu, sur un marché de l’emploi concurrentiel dans une démographie en berne, les forces armées doivent rester « attractives ». Outre leurs efforts de communication, elles disposent d’un certain nombre d’atouts : sécurité de l’emploi, variété des formations…
Améliorer la compatibilité entre vie familiale et service en fait partie au premier chef ; mais ces efforts resteront vains si l’image de la Bundeswehr est entamée dans le pays : les jeunes s’engagent difficilement si leurs pairs ont du dédain pour ce métier. Réels ou allégués de récents scandales rapportés dans les médias auraient pu avoir un effet ravageur si des mesures n’avaient été aussitôt prises pour y mettre un terme et en éviter le retour.
À l’heure de la mondialisation, l’Innere Führung qui règle les rapports humains dans le cadre démocratique d’un État de droit reste la boussole sûre, à appliquer constamment, notamment en opérations : elle vaut aux soldats la reconnaissance des populations locales et l’estime des alliés.
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Répondre aux multiples menaces et risques, asymétriques et évolutifs, impose que politique, société et forces armées révisent leurs conceptions de la sécurité globale. Le but d’une politique moderne de sécurité, fonctionnant en réseau, est de s’opposer en permanence aux menaces et dangers multiformes dès leur naissance. Dans cette optique, les moyens militaires conservent toute leur valeur pour établir et maintenir la paix ; ils sont également décisifs pour la crédibilité de la politique allemande de sécurité mais, employés seuls, ils sont, moins encore qu’avant, capables d’assurer une sécurité complète et durable. Ils ne peuvent être qu’un élément — d’ailleurs essentiel — des diverses précautions de sécurité prises par l’État.
Le plus fréquemment, les forces armées contribueront à créer la sécurité nécessaire à l’engagement d’acteurs civils, d’État ou non, chargés de tâches tout aussi importantes, mais pour lesquelles les militaires n’ont pas toute la compétence voulue.
Il est exact aussi que le rôle du soldat et sa conscience de soi ne devront pas se limiter aux aspects classiques du métier militaire. Certains objectent que le véritable guerrier est impropre à traiter avec habileté et chaleur de maintien de la paix ou de construction d’un État avec des civils. Ce serait même contradictoire avec l’essence même de son métier ! Pourtant, et de tout temps, les armées se sont trouvées confrontées au changement et à la modernisation. Pour ce qui est de la conscience de soi du soldat, elle subit périodiquement des ruptures révolutionnaires, et l’actuelle est autrement moins traumatisante que celle vécue par ses anciens lorsque des militaires courageux et aux vues politiques larges ont — une première en Allemagne ! — subordonné les armées au primat de la politique et établi le concept de « citoyen en uniforme ».
« Armée moderne, engagée dans le progrès, la Bundeswehr ne peut, ni ne doit, éluder le débat sur l’image professionnelle du soldat. La globalisation la rend nécessaire. Rien ne justifie, refus ou timidité, puisque la transformation incorpore les meilleures traditions militaires allemandes, l’idéal du service désintéressé, et l’esprit de l’Innere Führung qui lui crée des obligations ». ♦
(1) NdT. Le « concept global » établi pour la Bundeswehr se décline ensuite en « concepts partiels », un par grande fonction, comme « mobilité », « protection »…