Les Armées françaises à l'heure de l'interarmisation et de la multinationalisation
Les Armées françaises à l'heure de l'interarmisation et de la multinationalisation
Avec la parution de ce cinquième tome s’achève l’œuvre considérable entreprise en 2002 par Pierre Pascallon sous le titre Les Armées françaises à l’aube du XXIe siècle. Le choix du dernier thème, interarmisation et multinationalisation, est audacieux : ces mots, bien laids, recouvrent maintes contradictions entre positions de principe et difficultés d’exécution. Le nombre et la diversité des auteurs est le gage d’une pluralité d’opinions bien venue en la matière. Nous n’en retiendrons que quelques accents majeurs.
La multinationalisation paraît s’imposer aux producteurs d’armes. Pourtant, le général Cambournac, chef de la Division plans-programmes à l’EMA, reconnaît : « On sait qu’à trois, peu ou prou, un programme revient aussi cher à chacun que si nous l’avions fait individuellement ». En vis-à-vis, ingénieurs et industriels avouent leur parti pris : « Toutes les opérations sont a priori en coopération » (Jean-Pierre Devaux, DGA). Et pour Philippe Hervé (Nexter System), les « clients » étant incapables de se mettre d’accord, il convient de laisser faire les industriels.
Sur le terrain, c’est un autre problème, ou le même. Jérôme de Lespinois, chercheur au Cesa, pose le dilemme : préserver une certaine autonomie nationale au sein d’une coalition tout en influant sur celle-ci, tel est l’exercice difficile auquel la France s’est appliquée, tant dans la guerre du Golfe qu’au Kosovo ou en Afghanistan. Le sociologue s’en mêle aussi. Frédéric Coste (FRS) souligne combien l’action multinationale modifie « l’image que les militaires se font d’eux-mêmes » ; il cite Bernard Boëne : « Les armées devront considérer comme un luxe l’existence d’un pouvoir souverain assuré, capable de leur donner des ordres clairs et univoques ».
L’interarmisation ne pose guère moins de problèmes que le multinational. Le Network-Centric Warfare est au cœur de l’interarmées. Alain de Neve, chercheur belge, relève le risque qu’il fait courir à l’esprit de corps comme à la hiérarchie des niveaux de commandement. Joseph Henrotin, journaliste, ose parler de déshumanisation de la guerre aérienne : les inscriptions sur les bombes en sont le signe infâme, qu’excuse sans doute le sentiment qu’ont les pilotes (d’avion mais aussi de char) « de traiter des machines et non de tuer des hommes ». Le général Delanghe s’inquiète des « opérations sans fin » où nos soldats sont engagés et de leur capacité à agir, dans un cadre interarmées, sur le terrain et dans la durée.
Enfin, qu’il s’agisse de l’un ou l’autre « inter », nombre de ces exposés savants témoignent d’un intellectualisme débridé auquel correspond une complexité des structures de planification et de commandement dont le général de Braquilanges, directeur du Centre de planification et de contrôle à l’EMA, brosse un tableau inquiétant.
Ce compte rendu apparaît pessimiste ? Les conclusions du débat le renforcent pourtant. « Les nations ont toujours raison » (général Py, commandant la FAT), l’interarmées a des limites techniques mais aussi culturelles (général Abrial, commandant le CDAO). Le général Ract-Madoux, de l’EMA, a le mot de la fin : « Jusqu’où aller ? » ; réponse : pas trop loin. ♦