Hélie de Saint Marc - « Servir ? »
Hélie de Saint Marc - « Servir ? »
Pourquoi un point d’interrogation au titre de ce film ? Le commandant Denoix de Saint Marc répond : « Servir, oui. Servir jusqu’au bout, jusqu’au sacrifice suprême, oui. Mais servir a une limite, là où commence le déshonneur. Limite subjective. Limite discutable. Mais limite. D’où le point d’interrogation. Il ne faut pas mettre un homme dans une situation telle que la seule issue possible soit la révolte ». Cette déclaration est le fil conducteur de ce DVD.
Comment un officier de formation traditionnelle et légaliste devient, un jour, un officier rebelle ? Des entretiens avec Hélie de Saint Marc, entrecoupés de documents d’archives, vont répondre à cette question. L’on verra ainsi s’ordonner les éléments d’un puzzle apparemment disparates : un enfant heureux ; un adolescent rêveur et idéaliste qui devient tout naturellement résistant et se retrouve brutalement arrêté par la Gestapo en juillet 1943 ; un déporté de 21 ans plongé dans l’enfer de Buchenwald pendant deux ans, et dont l’éducation catholique vase trouver brutalement confronté au Mal absolu : « Il m’est physiquement impossible de parler en détail de cette période. L’humiliation n’est soluble dans rien ».
En 1945, c’est le retour en France : il réalise son rêve d’adolescent et rentre, admis sur titre, à Saint-Cyr. À sa sortie en 1947, il choisit la Légion : « J’ai deviné que j’allais y retrouver, d’une certaine manière, des hommes que j’avais côtoyés en camps de concentration, parce que ce n’était pas des hommes qui étaient jugés selon leur paraître, qui n’étaient pas jugés selon leur avoir, mais qui étaient jugés selon leur être profond ». Puis c’est l’Indochine où Hélie contracte le « mal jaune ». Il commande le poste de Ta Lung, à quelques centaines de mètres de la frontière chinoise, il vit au milieu de ses partisans. Un jour, il reçoit l’ordre de les abandonner et il l’exécute : « C’est un événement de ma vie qui m’a marqué à tout jamais. Non seulement j’étais trahi, mais je trahissais ».
Après l’Indochine, c’est l’Algérie au sein du prestigieux 1er Régiment étranger de parachutistes. Il pose la question de la torture, en la replaçant dans son contexte de terrorisme aveugle : « Je n’ai pas de réponse ». C’est l’époque où le général de Gaulle arrive au pouvoir et où l’Armée s’investit, derrière lui, pour l’Algérie française : « Une seule France de Dunkerque à Tamanrasset ». Mais, très vite, c’est l’inquiétude : « Il ne faut engager des populations, il ne faut engager des partenaires, des frères d’armes, que dans la mesure où nous avons l’assurance du pouvoir politique qu’ils ne seront pas ensuite lâchés. Nous avions tous notre mémoire jaune ».
Ça y est, les pièces du puzzle sont en place, il en manque encore une, la principale, celle qui va donner son unité à l’ensemble, celle qui va donner leur cohérence à tous ces « morceaux » de vie. Saint Marc raconte, le 21 avril 1961 : « Je me suis rendu au rendez-vous fixé par le général Challe : ‘Saint Marc, m’a-t-il dit, je vais vous demander quelque chose de terrible. Dans quelques heures, j’entreprends une action illégale contre le pouvoir légal de mon pays. Car j’estime que ce pouvoir légal va trahir l’armée – ce qui n’est pas très grave –mais surtout trahir les populations auxquelles elle a promis protection. Je voudrais savoir si vous êtes avec moi ou contre moi, j’ai besoin de vous, et je veux une réponse rapide car j’ai peu de temps à vous accorder’. En quelques secondes, j’étais passé de la position de l’officier discipliné, légaliste que j’avais toujours été, à la position d’un officier rebelle, passible de douze balles dans la peau dans les fossés du fort de Vincennes. Et, ce qui était beaucoup plus grave, j’avais entraîné derrière moi 800 officiers, sous-officiers, légionnaires, dans la rébellion ».
C’est le putsch et, tout de suite après, le procès et la détention, à Tulle : « C’était beaucoup moins pénible que Buchenwald. Et moralement, c’était sans doute plus pénible parce que j’étais emprisonné par mes propres compatriotes. Et puis, la détention détruit. Elle détruit irrémédiablement ».
Pour Noël 1966, il est libéré. Une nouvelle vie commence, lourde des expériences passées, mais éclairée par les sourires de sa femme et de ses filles. Porté par des images fortes, ce film est le témoignage d’une vie donnée, sans concession, à l’Honneur, loin des honneurs. Ces 52 minutes sont dominées par un regard clair, profond, qui a su garder, par-delà les épreuves, l’innocence et la pureté de l’enfance. C’est un regard de droiture qui ne cille pas devant le jeune Hélie de 15 ans et ses rêves héroïques : il ne l’a pas trahi. Ce regard est porté par une voix au timbre cassé, émouvante, qui pénètre jusqu’à notre conscience par des mots simples, choisis, pleins de sagesse et en même temps de jeunesse. Ce regard bleu, cette voix que parfois brise l’émotion sont l’expression physique, charnelle de cette vertu qui est l’âme du métier des armes : l’Honneur. ♦