Le front de l'Est en 1943/1944 - La guerre à l'Est et sur les fronts secondaires
Le front de l'Est en 1943/1944 - La guerre à l'Est et sur les fronts secondaires
Ce livre publié – en allemand – par le colonel Frieser constitue le 8e tome de la série Das deutsche Reich und der zweite Weltkrieg réalisée par l’Office de recherche d’histoire militaire de Potsdam. Le colonel Frieser est un historien connu en France pour avoir publié chez Belin en 2003, en français, un livre passionnant, primé d’ailleurs par l’Académie des sciences morales et politiques : Le mythe de la guerre-éclair – La campagne de l’ouest de 1940, dans lequel il retrace les épisodes de cette campagne, vus du côté allemand.
Le nouveau livre dont il est question ici est une œuvre monumentale, réalisée par une équipe d’historiens, au premier rang desquels se situe le colonel Frieser. Il traite de la période qui s’étend du printemps 1943 jusqu’au tout début de 1945, au moment où les troupes soviétiques atteignent les frontières du Reich. Les fronts dits « secondaires » sont ceux des Carpates et des Balkans, de l’Italie et de la Scandinavie. L’ouvrage est remarquablement illustré de schémas-couleurs sur l’évolution des différents fronts et sur le déroulement des principales batailles. L’intérêt de ce tome 8 est aussi que les chercheurs ont eu accès pour la première fois à des archives russes.
Il n’est évidemment pas possible de résumer ici l’ensemble d’un livre aussi imposant, même si le colonel Frieser a eu l’excellente idée d’inclure un résumé d’une quinzaine de pages, à partir desquelles le lecteur peut se reporter ensuite dans le corps de l’ouvrage pour avoir le détail de telle ou telle phase de la guerre à l’Est. Néanmoins quatre épisodes – parmi tant d’autres ! – sont évoqués ci-dessous dans la mesure où l’auteur y a apporté un éclairage original qui tranche parfois avec les jugements les plus couramment admis jusqu’ici.
La bataille de Koursk, du 4 au 16 juillet 1943 (« Citadelle »), est le plus souvent présentée comme la bataille décisive qui a anéanti les espoirs allemands de vaincre l’Union soviétique. De fait, l’auteur rappelle que depuis l’échec de la deuxième « campagne de Russie », celle de 1942, Hitler n’avait plus d’illusion sur la possibilité de venir à bout de l’Armée rouge, et qu’il portait de plus en plus son attention à l’Ouest où les risques d’offensives alliées entretenaient le cauchemar pour l’Allemagne d’avoir à conduire une guerre sur deux fronts. Dans ces conditions, contrairement à l’opinion la plus courante, l’opération « Citadelle » n’avait que des buts limités, à savoir d’une part raccourcir le front en éliminant le saillant de Koursk, ce qui devait permettre de constituer une réserve opérationnelle, et d’autre part porter un coup suffisamment grave aux forces soviétiques pour éviter leur déferlement l’été suivant. D’ailleurs, dès l’annonce du débarquement allié en Sicile, le 10 juillet, Hitler décidait de stopper l’opération ; « Citadelle » se terminait par un échec. Les Soviétiques allaient désormais garder l’initiative des opérations. Parfaitement conscient de cette situation, Hitler en était arrivé à se persuader que si une victoire stratégique à l’Est ne pouvait pratiquement plus être obtenue, une défaite stratégique à l’Ouest pouvait être évitée. D’où sa stratégie : « battre l’adversaire à l’Ouest, tenir à l’Est » ; et son désintéressement croissant pour le front de l’Est qu’il affaiblissait en retirant de plus en plus de forces.
Le colonel Frieser s’étend sur la bataille de Prochorovka, la plus grande bataille de chars de la guerre sur la partie sud du saillant de Koursk, là où les blindés allemands avaient le plus profondément pénétré les défenses adverses. Il efface le mythe entretenu par les Soviétiques d’un désastre infligé aux blindés de la Wehrmacht et montre que ces derniers avaient réussi au contraire à se retirer, sans pertes importantes, face à un adversaire qui, lui, devait connaître une véritable débâcle. Et d’avancer le chiffre de 6 000 chars soviétiques détruits pendant la bataille de Koursk, chiffre huit fois supérieur à celui des pertes allemandes. Cela montre que la force blindée de l’Allemagne gardait une bonne partie de sa puissance. Encore fallait-il que ces forces soient utilisées au mieux de leurs capacités. Or le livre montre comment Hitler allait condamner ses forces à une défense statique, leur refusant toute manœuvre en retrait dans la profondeur, là où leur supériorité opérationnelle aurait pu compenser leur infériorité numérique croissante. Après cette stratégie défensive statique sans vue opérative (la « Halte stratégie »), Hitler, devant l’effondrement du front Centre sous la poussée soviétique de l’été 44, aggravait encore la situation en adoptant une nouvelle stratégie, celle des « places fortes » dans lesquelles les troupes devaient se laisser enfermer afin de retenir le maximum de forces ennemies. Le groupe d’armées Centre allait connaître, dans ces conditions, ce que l’auteur n’hésite pas à appeler « la plus sévère défaite de l’histoire militaire allemande » : front rompu sur 400 kilomètres ; recul de 600 kilomètres jusqu’à la Vistule ; 265 000 hommes hors de combat pour la seule période du 22 juin au 10 juillet 1944 ; trois armées disloquées dont une anéantie et les deux autres réduites à un gros corps d’armée. Soit des pertes doubles de celles subies à Stalingrad, pertes dont le retentissement a été quelque peu étouffé par l’importance des événements qui se déroulaient en Normandie.
Le colonel Frieser évoque un épisode peu connu relatif au soulèvement de Varsovie d’août 1944. Il est admis en général que les forces soviétiques ont stoppé leur offensive en attendant que les Allemands éliminent cette insurrection. Selon l’auteur, un tel arrêt ne paraissait pas être dans les calculs initiaux de l’adversaire. Fin juillet, un corps blindé soviétique fonçait en effet dans le but manifeste d’atteindre au plus vite, au nord de Varsovie, le confluent de la Vistule et du Bug, de franchir ces fleuves, et d’encercler la capitale polonaise qui tomberait comme un fruit mur. Or le 1er août, jour du début de l’insurrection polonaise, ce corps était anéanti à l’est de Varsovie, suite à une attaque-éclair de quatre divisions blindées commandées par le maréchal Model en personne. À ce coup d’arrêt de l’offensive soviétique s’ajoutaient d’évidents problèmes logistiques pour les unités assaillantes. Effet d’une telle situation ou ordre effectif de Staline de stopper l’offensive ? L’auteur pose la question, précisant que les archives soviétiques sur ce point demeurent muettes. Le lecteur jugera.
Parmi les épisodes peu connus de cette guerre, le livre évoque la façon dont Hitler laissa le groupe d’armées nord – une trentaine de divisions – se faire encercler dans la presqu’île de Courlande en octobre 1944. On apprend à cette occasion que le dictateur pensait toujours battre les alliés à l’Ouest – d’où la prochaine offensive des Ardennes – après quoi il basculerait à l’Est l’effort principal et déclencherait une vaste opération en tenaille contre les forces soviétiques, à partir de la Courlande d’un côté et du front Centre de l’autre. Vision utopique au résultat sans doute connu, mais dont l’origine l’est moins. Les chapitres consacrés aux fronts dits « secondaires » méritent une attention d’autant plus grande qu’en général les événements survenus sur ces fronts sont en général peu ou mal connus (sauf en France pour la campagne d’Italie). Le lecteur prendra connaissance avec intérêt, entre autres, du déroulement des opérations dans les Carpates et les Beskides, du retournement des Roumains et des Bulgares, des conditions difficiles du retrait de Grèce puis des Balkans du groupe d’armée E (Maréchal Löhr), du rôle de l’armée hongroise (900 000 hommes fin 1944) en soutien de la Wehrmacht laquelle livrera en Hongrie ses dernières actions offensives !
Des jugements sont portés, tout au long de cette immense étude, sur les stratégies appliquées par les deux grands belligérants, sur les capacités de leurs armées et l’état d’esprit de leurs soldats. Ils portent aussi, non seulement sur l’attitude de Hitler jusqu’à la chute finale, mais également sur celle de ses généraux dont trop peu n’ont pas eu le courage de réagir, constate l’auteur, face à la conduite le plus souvent aberrante, voire criminelle de la guerre par le Führer. Voilà un livre indispensable à ceux qui souhaitent approfondir leurs connaissances sur la guerre à l’Est… à condition de lire l’allemand ou de faire appel à un traducteur. ♦