Revue des revues
• Europaïsche Sicherheit, n° 7/2007 : « Quitter l’Afghanistan - Adieu Afghan… ».
Devant un flux d’indices récents et discordants (1), K. Olshausen, général de corps d’armée (CR) et président de l’Association Clausewitz, étudie comment pourrait se présenter ce départ.
1. En fanfare, dans des années, mission accomplie : pays stabilisé et reconstruit. C’est l’issue souhaitée, mais nullement certaine.
2. Gouvernement et Parlement élus afghans rendent le succès impossible en limitant à l’excès la liberté d’action des forces étrangères, voire demandent leur départ.
3. Départ, éventuellement sous contrainte, devant un « Front patriotique » politique.
Les conversations à Kaboul, le niveau de la volonté politique des États fournisseurs de troupes (résisterait-elle longtemps en cas de pertes fortement croissantes dans leurs contingents militaire et civil, ou parmi la population ?) ne permettent pas d’exclure totalement un départ de type 2 ou 3. Le cas 2 peut ne pas être un « échec existentiel » pour les organisations internationales. Le troisième les obligerait en revanche, ainsi que les États membres, à réexaminer sérieusement leur aptitude future à maîtriser les crises internationales de demain.
Reconnaître les aspects particuliers de la guerre d’Afghanistan, et y faire face devient urgent.
Reconstruire le pays, avec les Afghans et pour eux, n’a de sens que s’ils sont fermement décidés à s’opposer à tout retour au pouvoir des taliban et au soutien qu’ils apportent au terrorisme islamiste.
Insuffisamment instruites et équipées, et surtout mal commandées, armée, polices et garde-frontière afghanes sont actuellement incapables de vaincre seuls taliban, terroristes et autres milices ; la participation aux combats des troupes alliées reste indispensable.
Si la mission doit être poursuivie, il faut :
– cesser de balancer entre stabiliser-reconstruire, et combattre (sécuriser et combattre sont également nécessaires) ;
– augmenter peut-être les effectifs étrangers, mais certainement développer les aides, au profit notamment des forces de sécurité et de la justice afghanes ;
– accroître considérablement l’aide financière et veiller à son emploi prioritaire au profit de la population, notamment dans les campagnes (adduction d’eaux, électrification, infrastructures routière, de santé, scolaire, culturelle…), le plus possible en accord avec l’autorité afghane, afin que l’amélioration tangible du sort des gens encourage leur loyalisme envers le gouvernement ;
– abandonner l’illusion, surtout occidentale, d’un État centralisé, favoriser plutôt des structures régionales où chefs de tribu et de clan prendront des responsabilités (respecter les droits de l’homme et proposer un standard démocratique minimum utile, au développement de la volonté politique) ;
– s’attaquer à la drogue en détruisant les multiples réseaux du cartel des trafiquants, plutôt qu’en incendiant des champs de pavots ;
– impliquer davantage dans la sécurité d’un État encore fragile tous ses voisins (Pakistan et Iran certes, mais aussi Chine et République ex-soviétiques de sa frontière Nord).
Le nombre (non exhaustif) de ces tâches, leur complexité et l’ampleur des défis à relever, nécessitent qu’ONU, UE, et leurs membres, s’accordent sur un panel d’aides diversifiées allant bien au-delà des engagements de Petersberg (2001) et Londres (2005).
Un message très clair est à envoyer aux Afghans ; gouvernement et majorité. À eux de choisir leur voie, et de le faire rapidement, car la patience de la communauté internationale et des bailleurs de troupes est déjà très réduite. Si les Afghans considèrent qu’il faut absolument empêcher tout retour au pouvoir des taliban, et qu’ils ont un besoin primordial de l’aide internationale, la communauté mondiale la leur apportera généreusement.
Cependant, si l’attentisme perdure, ou si la population tourne plutôt le dos aux troupes étrangères, rien ne deviendra possible. Là où les taliban ont repris le pouvoir, ou y parviendraient, reconstruire le pays est un effort sans espoir.
Le renouvellement des deux mandats onusiens, celui de l’Isaf comme celui de la coalition, est en débat. Mieux vaudrait les fondre en un seul couvrant toutes les tâches à accomplir. Les modalités concrètes d’exécution seraient alors à décider ensemble, en interne au sein de l’Alliance. Une fois ainsi réorientée, l’influence allemande acquerrait davantage de poids.
Dans la FAZ du 25 mai 2007, L. Rühl exhorte le gouvernement fédéral : « Pour longtemps encore dans l’Hindou Kouch ! ; un chargé d’affaires allemand de rang ministériel serait utile comme coordonnateur ». Un coordonnateur entre toutes les organisations internationales serait encore plus indispensable, mais si ces efforts se révèlent — ou paraissent — insuffisants, la propagande adverse ne manquera pas d’arguments pour proclamer que la solution n° 1 s’éloigne dans le temps, voire est remise aux calendes grecques.
« Près de six ans après le début (de l’intervention), cette seule raison devrait suffire à la communauté mondiale, à toutes les organisations internationales et aux États membres, ainsi qu’à tous les Afghans qui refusent un second régime taliban et son soutien au terrorisme islamiste, pour s’unir dans une action énergique et bien coordonnée afin d’administrer la preuve que l’Histoire — d’Alexandre le Grand au régime taliban jusqu’en 2001, en passant par l’ère coloniale britannique, l’occupation soviétique et la guerre civile qui a suivi son retrait — n’a pas le droit de se reproduire encore une fois » (2). ♦
(1) Conseil des ministres UE de la Défense : Jung critique vertement les bombardements aériens américains pour les « dommages collatéraux » infligés à la population civile. Kaboul : le président Kardzaï demande la suspension de ces bombardements ; la Chambre haute vote une résolution sur l’arrêt de toutes opérations offensives de l’Isaf comme de la coalition à direction américaine, si on veut entrer en pourparlers avec les taliban. Koundouz : véhicule suicide au marché, nombreux morts, dont des soldats allemands ; depuis son arrivée en Afghanistan, la Bundeswehr a eu 21 tués. Le commandant (britannique) de l’Isaf au New York Times : « Nous sommes ici les hôtes de ce pays ». Déclaration de Mme Merkel : « la communauté internationale reste décidée à soutenir le gouvernement élu afghan pour rebâtir son pays et empêcher tout retour au pouvoir des taliban. Rétablir la sécurité et reconstruire ont besoin d’être mieux coordonnés ». NdT : K. Olshausen ne mentionne pas les enlèvements et assassinats d’otages, postérieurs pour la plupart à la rédaction de cet article.
(2) NdT : le débat sur le renouvellement du mandat était prévu au Bundestag en septembre prochain. Fin juillet, Der Spiegel a interrogé le Generalinspekteur (Cema) Schneiderhan qui lui déclare : « Les Allemands devront peut-être devoir envoyer plus de troupes, et certainement davantage de moyens. Nos soldats ne sont pas des « tire-au-flanc », mais la stabilisation de la région Nord dont l’Allemagne a reçu et accepté la responsabilité, doit continuer à faire l’objet de notre effort principal ».