La conscription ayant été suspendue depuis 1997, beaucoup s’interrogent sur la pérennité du lien armées-nation. Certains considèrent la professionnalisation comme un possible ferment de fragilité de cette relation nécessaire à l’harmonie de la société française. On peut, à l’inverse, penser qu’elle constitue une opportunité de conforter ce lien et de lui donner plus de chair.
Du lien armées-nation…
The link between the Armed Forces and the nation
Since conscription was suspended in 1997, many questions have been asked on the durability of the link between the Armed Forces and the nation. Some see ‘professionalisation’ as a possible contributor to the fragility of this relationship, which is vital to the harmony of French society. On the other hand, it can be seen as an opportunity to strengthen this link and to give it more substance.
Sans le service national, les militaires pourraient se considérer comme une caste un peu en marge de la société, partageant des valeurs différentes de celles des « pékins », s’isolant ainsi d’une société dans laquelle ils ne se reconnaîtraient pas pleinement et qui ne les connaîtrait plus. Tout changement déstabilise. Il peut être vécu de façon négative, comme un risque, ou, au contraire, de façon positive comme une opportunité de reconsidérer les choses avec un œil neuf et de construire des relations et modes de fonctionnement nouveaux en faisant fi des pratiques ou représentation mentales anciennes. Ne peut-on considérer que, s’agissant du lien armées-nation, la professionnalisation constitue plutôt une chance et que, même s’il faut rester vigilant, elle est de nature à le renforcer. L’objectif est de faire en sorte que les armées soient ouvertes, intégrées à la société et que les valeurs partagées par leur corps social soient celles de leurs concitoyens ; et à l’inverse que la société civile connaisse ses armées et se reconnaisse en elles.
Une connaissance mutuelle plus profonde et plus intime
L’époque de la conscription
Sous le régime de la conscription, tout jeune Français était astreint au service national. Dans l’imaginaire collectif, cette obligation conduisant à confronter tous les citoyens avec les armées, et ces dernières avec la société, fondait le lien armées-nation. Était-ce aussi réel que cela ? Tout d’abord, le service était national et non uniquement militaire. Un nombre non négligeable de jeunes Français optait pour des formes civiles de service et n’avait donc pas de contact avec les armées. Les jeunes filles n’y étaient pas astreintes. Pour ceux qui effectuaient leur séjour sous les drapeaux, ce bref passage de douze puis dix mois au sein de l’institution suffisait-il à faire en sorte que les citoyens aient une connaissance concrète de ce qu’était leur armée ? L’on en retenait le plus souvent le caractère contraignant, les services et parfois un sentiment d’inutilité. À l’issue, les appelés étaient-ils capables de témoigner auprès de leurs proches de ce qu’était la réalité du métier et de la vie des militaires professionnels, cadres et engagés ? Probablement pas. Pouvaient-ils, dans ces conditions, constituer de véritables relais d’opinion ? Pour une partie d’entre eux, les aspirants et les scientifiques du contingent essentiellement, peut-être. Pour l’immense majorité qui constituait « la troupe » la question reste posée. De même, les appelés se succédant tous les dix mois dans les régiments, les militaires d’active prenaient-ils réellement en compte concrètement l’évolution de la société ? Probablement pas totalement. Dans les régiments, deux populations vivaient l’une à côté de l’autre : les appelés, majoritaires, assujettis à un service et n’ayant comme principal souci que de faire en sorte que leur séjour sous les drapeaux se passe sans trop de heurts ; et les militaires d’active, l’encadrement essentiellement, minoritaires et ayant pour préoccupation essentielle la capacité opérationnelle de leur formation. En fait, la jeunesse française cohabitait momentanément avec le monde militaire et vice versa. Chaque population cultivait ses valeurs propres et avait ses propres préoccupations et objectifs. Un lien obligatoire entre les armées et la nation existait, mais on peut penser que cette obligation le rendait parfois assez factice voire « frictionnel ».
L’armée professionnelle
Dans l’armée professionnelle, les « permanents » ont succédé aux « passagers ». Certes, la plupart du personnel n’a pas vocation à faire carrière (1), mais la durée de service des contractuels, officiers, sous-officiers et soldats, est au minimum de cinq ans et peut aller jusqu’à vingt-deux ans. Même une durée de seulement cinq ans permet d’acquérir une véritable connaissance du métier et de la vie de militaire. Par ailleurs, elle permet d’implanter concrètement dans les armées la réalité sociétale et comportementale de la population française. Les jeunes qui s’engagent rejoignent l’institution et y servent, durablement, avec les préoccupations, les valeurs et les aspirations des jeunes Français. On pourrait donc avancer que la professionnalisation permet une meilleure osmose entre la société civile et les armées. D’autant que l’endo-recrutement est un phénomène à relativiser. Il existe, mais comme il existe également dans d’autres professions ou institutions (2) (médecins, SNCF…). Enfin, ce personnel majoritairement contractuel a vocation à retourner dans le monde civil, monde dans lequel il sera identifié comme un « ancien militaire » et contribuera donc au rayonnement des armées, ou du moins à la connaissance de la réalité du monde militaire par le monde civil.
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