Extraits de l’allocution du secrétaire d’État à la Prospective et à l’Évaluation des politiques publiques, au colloque consacré à la place de l’Europe dans la mondialisation, organisé par le Centre d’analyse stratégique le 22 novembre 2007, Paris, École militaire.
L'Europe dans la mondialisation
Europe and globalisation
Extracts from a speech by Éric Besson, Secretary of State for Forecasting and Evaluation of Public Policies, introducing a seminar devoted to Europe’s place in globalisation organised by the Centre for Strategic Analysis on 22 November 2007 at the École Militaire, Paris.
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Dans quelques mois, vous le savez, la France présidera l’Union européenne ; elle le fera à un moment crucial d’un point de vue stratégique : en effet, après une période de grand doute, la construction institutionnelle de l’Europe vient d’être relancée, grâce au « Traité simplifié » par les efforts conjugués de la France et de ses partenaires, et notamment de l’Allemagne ; par ailleurs, la France devra porter la rénovation de la « stratégie de Lisbonne », prévue pour juin 2008.
Raison de plus pour poser dès maintenant, dans le débat public, les grandes questions d’intérêt général qui préoccupent légitimement nos concitoyens.
Au premier rang de celles-ci figure bien évidemment ce qu’il est convenu d’appeler la « mondialisation » et ses conséquences sur la vie économique et sociale de nos nations.
Je dirai les choses telles que je les pense ; la mondialisation, à mon sens, recèle plus d’opportunités que de menaces. C’est avant tout, nous le savons, une source de croissance et de richesse. C’est évident pour les pays émergents ; cela le devient progressivement pour certains des pays les plus pauvres ; c’est vrai aussi pour la France et pour l’Europe.
Mais en même temps, la mondialisation génère des inégalités, affecte des métiers, des personnes ou des territoires. Négliger ce point, l’écarter d’un revers de main serait une grave erreur : tant que nous n’aurons pas réussi à traiter les aspects douloureux de la mondialisation, nous ne pourrons présenter ses aspects positifs de manière crédible aux citoyens européens !
En d’autres termes, l’Union européenne doit adopter face à la globalisation économique une attitude non-doctrinale, une attitude pragmatique, active et réactive.
Nous ne devons pas oublier que derrière les équations qui démontrent que la « destruction est créatrice » en matière d’emploi, ou que les transitions industrielles sont « bénéfiques à terme », se cachent des femmes et des hommes en chair et en os, des régions, des bassins d’emplois.
Défendre ses intérêts
Pour profiter d’un processus bénéfique, il ne suffit pas d’attendre, il faut agir, se préparer, s’adapter ; il faut aussi se protéger de ce qu’il peut y avoir de brutal, de trop rapide.
Cela signifie concrètement que l’Union européenne ne doit pas avoir honte de défendre ses intérêts, en modérant parfois son enthousiasme théorique : être ouvert sur le monde ne signifie pas accepter le « laisser-faire » absolu ; protéger ce qui doit l’être n’est pas du « protectionnisme ».
Vous me permettrez de citer quelques extraits du discours du président de la République, le 13 novembre 2007, devant le Parlement européen, et particulièrement trois phrases :
« L’Europe ne veut pas du protectionnisme, mais l’Europe doit réclamer la réciprocité » ; « L’Europe est attachée à la concurrence, mais l’Europe ne peut pas être seule au monde à en faire une religion. C’est pourquoi, au sommet de Bruxelles, il a été décidé que la concurrence était pour l’Europe un moyen et une fin » ; « L’Europe a fait le choix de l’économie de marché et du capitalisme, mais ce choix n’implique pas le laisser-faire absolu et la dérive d’un capitalisme financier qui fait la part belle aux spéculateurs et aux rentiers plutôt qu’aux entrepreneurs et aux travailleurs ».
Libéral ou pas, chaque pays dans le monde défend ses intérêts avec pragmatisme et sans éprouver de complexes. Chaque pays cherche à attirer de nouvelles activités et à éviter la délocalisation des siennes. Je suppose que le gouvernement britannique ne resterait pas indifférent face à un risque éventuel de délocalisation des activités de la City ! L’enjeu est donc de définir et de faire valoir nos intérêts le plus intelligemment possible, en fonction du moment et des positions des uns et des autres.
C’est donc en démontrant que les Européens partagent des intérêts communs bien compris, et que l’Union européenne est capable de les défendre efficacement que nous ferons adhérer les citoyens à l’Europe. Ce qui n’interdit en rien la recherche d’une coopération fructueuse avec d’autres blocs régionaux émergents harmonisant progressivement, par le haut, les conditions de vie de leurs concitoyens.
Des débats de fond
C’est pourquoi la France a lancé ces derniers mois un certain nombre de débats de fond. Nous pensons que :
– la préférence européenne est nécessaire dans la mesure où elle permet de promouvoir nos préférences collectives, sociales, territoriales ou environnementales ;
– compte tenu des besoins alimentaires de la planète, une agriculture forte demeure indispensable, si elle est adaptée aux attentes des consommateurs européens, compétitive et sûre, dans le cadre d’une Politique agricole commune (Pac) rénovée ;
– de même son socle industriel donne à l’Europe un avantage compétitif par rapport à d’autres zones du monde, d’où la nécessité de moderniser et de consolider la politique industrielle, en la fondant d’abord sur la recherche et l’innovation ;
– des services publics de qualité restent essentiels à la cohésion de nos sociétés, même s’ils n’ont pas forcément besoin de s’appuyer sur des monopoles ;
– une stratégie énergétique est indispensable et elle ne peut pas se résumer à l’ouverture du marché et à l’application de règles de concurrence ;
– la politique commerciale ne sera légitime que si elle est fondée sur une réciprocité sans naïveté ;– les gouvernements ne peuvent être indifférents et doivent assumer leurs responsabilités en matière de politique de change et plus globalement en ce qui concerne les politiques financières. Ce qui n’est en rien incompatible avec l’indépendance reconnue de la Banque centrale européenne.
Que faire ?
C’est dans cet esprit que nous devons analyser la mondialisation. Comment en tirer parti ? Quelles sont nos responsabilités au niveau national ? Où et comment l’Union européenne doit-elle agir ?
Dans ce contexte, et partant de ces principes généraux, je voudrais vous suggérer quelques pistes de réflexions. Deux points généraux pour commencer.
Finances et économie
D’abord, la stabilité du système financier international. Cette stabilité doit faire partie de nos préoccupations : nous devons pour cela nous unir pour encourager la transparence et la responsabilité de tous les acteurs, y compris les agences de notation. L’Union européenne a toute légitimité pour s’emparer de ces questions, et parler d’une voix forte ! Elle a la « masse critique » pour peser sur la régulation du système.
Ensuite, la régulation des échanges économiques. Chacun l’a observé : les obstacles non tarifaires aux échanges et aux investissements ont atteint des proportions alarmantes. Nous devons donc lutter collectivement contre les distorsions de concurrence, contre le dumping social, environnemental et monétaire à l’échelle mondiale. L’exigence de réciprocité doit être affirmée très clairement par l’Europe. C’est la condition de notre bonne insertion dans la mondialisation, c’est-à-dire une insertion qui ne soit pas profitable seulement à nos concurrents, mais aussi à nous-mêmes !
Les différents sommets avec les pays émergents qui se tiendront pendant la présidence française nous donneront probablement l’occasion d’avancer sur ce point.
Stratégie de Lisbonne
Livrons rapidement à votre sagacité, quelques points plus particuliers, directement relatifs à l’évolution des lignes directrices de la stratégie de Lisbonne.
Nous devrions :
– renforcer énergiquement la protection de notre propriété intellectuelle, qui demeure aujourd’hui trop timorée (nous pourrions nous inspirer de l’attitude beaucoup plus offensive des États-Unis) ;
– mener une politique d’encouragement à l’innovation dans les PME ; donner aux PME un accès privilégié aux marchés publics (ce qui suppose que l’UE obtienne une dérogation à l’accord sur les marchés publics de l’OMC) ;
– recentrer la stratégie communautaire en matière d’éducation sur l’école primaire, qui est un enjeu capital, insuffisamment considéré ; l’Europe ne peut laisser se dégrader l’enseignement primaire, car il est la base de tout l’édifice ; pour construire une « économie de la connaissance » ;
– mettre en place une véritable prospective sur les métiers d’avenir et les secteurs créateurs d’emploi en Europe — sur le modèle au fond de ce que fait le centre d’analyse stratégique dans le cadre de son programme « prospective des métiers et qualification » : l’emploi en Europe, ce ne sont pas seulement les NTIC ! Ce sont les services à la personne, la santé, l’éducation… ;
– mieux appliquer, c’est-à-dire appliquer complètement et systématiquement, la directive européenne sur le détachement des travailleurs : il importe en effet que les travailleurs soient tous traités à égalité dans le pays où ils travaillent (c’est-à-dire qu’ils doivent tous bénéficier de la législation du pays d’accueil).
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