Les banlieues de l'Europe. Les politiques de voisinage de l'Union européenne
Les banlieues de l'Europe. Les politiques de voisinage de l'Union européenne
Pour la première fois, la Slovénie, dont l’adhésion ne remonte qu’au 1er mai 2004, exerce, la présidence semestrielle de l’UE. Elle a décidé de placer « la vocation européenne des Balkans occidentaux » (telle qu’évoquée lors du Conseil européen de Thessalonique de 2003), au cœur de sa réflexion. Cet ouvrage, publié sous la direction de Jacques Rupnik, directeur de recherche du CERI (Centre de recherches internationales), éminent spécialiste des Balkans, vient en effet rappeler combien le débat entre élargissement et approfondissement de l’espace communautaire est toujours d’actualité.
Les prochaines échéances institutionnelles d’ici 2009 (nées du processus de ratification du traité de Lisbonne du 13 décembre 2007) et électorales (élections européennes pour lesquelles, si le nouveau traité est ratifié, 751 députés européens issus de 27 États membres seront désignés) confirmeront que les questions existentielles qui traversent sporadiquement un espace fort de 492 millions de citoyens se résument souvent à définir les frontières géographiques et les limites institutionnelles et politiques du processus d’élargissement.
La question de la poursuite de l’« européanisation » de la périphérie méridionale et orientale est une question des plus prégnantes et des plus complexes. Cette interrogation, prépare, tout naturellement, les prochaines phases d’élargissement, notamment en direction des Balkans occidentaux ; en premier lieu desquels, la Croatie et la Macédoine qui ont fait acte de candidature ; ou encore l’Albanie et le Monténégro qui ont signé l’accord de stabilité et d’association ; sans oublier la Turquie, qui estime avoir déjà trop patienté, avec qui certains voudraient engager un « partenariat privilégié », mais dont les premières discussions avec l’Europe communautaire remontent déjà à 1963…
Au moment où cet ouvrage collectif rassemblait plusieurs universitaires unanimement reconnus dans le domaine des enjeux géopolitiques et géoéconomiques des politiques de voisinage de l’UE était lancé, ces derniers n’avaient sans doute pas encore pris connaissance de la création d’un Comité des sages, réunissant intellectuels et responsables politiques sous la houlette de l’ancien Premier ministre espagnol Felipe Gonzalez, censé dresser justement les contours de l’Europe à l’horizon 2030…
Depuis 2004, la Politique européenne de voisinage (PEV), imaginée dans la foulée de l’élargissement aux nouveaux États membres d’Europe centrale et orientale, à Malte et à Chypre, vise à créer un lien de solidarité avec les États riverains de l’Europe communautaire, et dote l’UE d’une certaine forme d’hinterland. Depuis le Processus euro-méditerranéen lancé à Barcelone en novembre 1995, aux onze « pays tiers méditerranéens » du Maroc à la Turquie sont venus s’agréger ceux issus du vaste ensemble englobant les riverains de lamer Noire (Ukraine, Moldavie) et les trois États du Caucase du Sud (Géorgie, Arménie et Azerbaïdjan), sans oublier la Biélorussie (même si cette dernière, première marche de l’« étranger proche » de la Russie, semble tourner de plus en plus le dos à l’acquis communautaire, pourtant sésame pour une adhésion pleine et entière).
Cela met à la fois en évidence les enjeux et les contraintes auxquels doit faire face l’Union européenne. En effet, il s’agit bien d’assurer le double objectif de la stabilité à sa marge tout en évitant que l’adhésion systématique de ses voisins, toujours plus à l’est et au sud du continent, voire au-delà, ne viennent remettre en cause la cohérence de son projet initial.
Au moment où les contours de l’ambitieux projet d’Union méditerranéenne s’esquissent, et qu’en même temps l’épineux agenda du Kosovo remet au cœur du débat celui sur les frontières intra-européennes, les options qui s’offrent à Bruxelles font l’objet de toutes les conjectures… On évoque ainsi désormais ouvertement la « capacité d’intégration » de l’Union. Annonce-t-elle néanmoins une pause ou la fin de l’élargissement ?
Cet élément de réflexion devient stratégique dès lors qu’il s’agit de chercher à gérer au mieux un voisinage immédiat qui pourrait porter l’Europe communautaire aux portes de Bagdad et de Moscou (à moins que la Russie s’intègre dans cette « Europe des 40 » que l’on évoque quand l’on se réfère à une Grande Europe de l’Atlantique à l’Oural)…
Il en dépendra la portée réelle de l’influence européenne dans le monde, au moment où se jouent de nouveaux équilibres mondiaux ; comme le rappelle avec justesse Jacques Rupnik quand il évoque la nécessité de différencier les frontières géographiques de l’Europe et celles nettement moins figées, « à géométrie variable à l’intérieur et aux frontières souples à l’extérieur (…) et dont l’attrait et l’efficacité dépendent en partie de l’ambiguïté » et donc éminemment plus politiques de l’Union européenne.
Cela, afin que les mécanismes institutionnels d’associations, de partenariats et de dialogue ne se transforment ou ne soient perçus in fine comme un nouveau Limes. ♦