Démographie et stratégie - Programme « Démographie et stratégie au XXIe siècle »
Programme « démographie et stratégie au XXIe siècle »
Le XXe siècle fut le théâtre d’un formidable accroissement de la population mondiale. La Terre comptait 1,5 Md d’habitants en 1900, le chiffre double en 1960 et redouble encore entre 1960 et 2000, pour atteindre 6 Md. Ce phénomène, déjà bien analysé et étudié depuis le siècle précédent, a donné lieu à de nombreux commentaires sur le déplacement continu du centre de gravité de la planète vers l’Asie. On a moins relevé qu’en 2050, le monde sera confronté à une situation inédite : l’idéal démographique stationnaire pensé par Aristote dans La Politique se matérialisera à l’échelle globale, et la population mondiale atteindra un palier estimé à 9 Md d’habitants au plus.
Les différentiels d’évolution des populations du monde qu’on observe actuellement seront-ils entérinés ? Pour quelles conséquences géostratégiques et quelles tensions induites ? C’est l’objet de ce programme de recherche du Cérem. Car à l’heure où le débat est animé au sein de la communauté internationale pour ou contre une réforme des institutions de l’ONU selon le poids des différents pays, et alors que les questions d’accès des populations aux ressources vitales se font de plus en plus pressantes, une réflexion sur les rapports entre démographie et stratégie au XXIe siècle s’impose.
Dans le cadre d’une réflexion d’ensemble portant sur la notion de crise, les nouvelles formes de conflit et leurs modes de résolution, le Cérem vient de conclure une première étape de recherche, établissant des perspectives raisonnées des réalités démographiques probables de la planète à l’horizon 2050. De nombreuses rencontres avec experts et chercheurs ainsi que l’organisation d’un atelier de confrontation rassemblant et opposant différents points de vue ont permis de remplir l’objectif de cette première phase : poser les bases des travaux du Cérem en vérifiant un certain nombre de postulats et d’hypothèses quant aux évolutions de la population mondiale. Les prochaines étapes des travaux analyseront d’abord les conséquences de ces évolutions en matière de changements d’équilibres géopolitiques et de conflits potentiels, avant d’imaginer les futurs modes d’organisation et de médiation possibles à l’échelle d’une planète recomposée. À l’orée 2050, la population mondiale devrait donc cesser de croître pour atteindre un palier de 8 ou 9 Md.
Le monde comptait 1,860 Md d’habitants en 1920 et 2,5 Md en 1950. Puis, en moins de deux générations s’est produit un doublement de population : 5 Md en 1987. De cette date à 2007, la population mondiale s’est accrue d’encore 1,6 Md, soit le nombre d’êtres humains qui peuplaient la planète en 1900, pour atteindre 6,671 Md aujourd’hui. Elle devrait ensuite se stabiliser pour ne pas dépasser les 9 Md. Dans une approche relative des différents continents, on constate que le poids de l’Europe ne cesse de diminuer. Le vieux continent (Russie comprise) abrite aujourd’hui 8 % de la population mondiale, contre 4,5 % pour les États-Unis, 14 % pour l’Afrique et 60 % pour l’Asie. En 2050, le recul européen sera flagrant, pour ne plus représenter que 4,5 % de la population du globe, alors que les États-Unis auront progressé à 4,7 % et l’Asie sera stationnaire autour de 55 %. Quant à la population africaine, elle atteindra 2 Md, soit 22 % des habitants de la planète. En 2007, le continent africain détient l’indice de fécondité le plus élevé au monde avec 4,67 enfants par femme, devant l’Amérique latine et les Caraïbes (2,37), l’Asie (2,34), l’Océanie (2,30) et l’Amérique du Nord (2,05) ; l’Europe ayant le plus faible indice de fécondité : 1,40 enfant par femme.
Le phénomène de transition démographique aujourd’hui observé à des degrés divers apparaît comme universel, même s’il intervient avec un certain décalage selon les régions. À l’horizon 2050, les indices de fécondité de toute la planète devraient tendre vers 2 enfants par femme, excepté en Europe où il ne devrait plus évoluer. Les pays arabes, ainsi que l’Iran, offrent dans l’ensemble, un bel exemple de transition démographique. Le taux de fécondité y est passé de 7 en 1970 à 3,4 en 2000. Il est en 2007 de 2 en Tunisie, et a évolué de 6 à 2 en Iran entre 1985 et 2000. À noter, l’exception française en Europe, avec une moyenne de 1,9 enfant par femme qui peut s’expliquer par des facteurs sociaux, économiques, idéologiques et religieux, ainsi que par le rôle d’institutions comme la crèche ou l’école maternelle, permettant à la femme d’être mère au travail sans préjudice social. Par ailleurs, la diminution rapide du taux de fécondité au Maghreb résulte d’une probable « contagion idéologique » : les immigrés maghrébins en Europe occidentale propagent, à leur tour, les idées familiales européennes au sein de leur pays d’origine.
Quels premiers enseignements stratégiques tirer de ces projections démographiques ?
Deux catégories d’analyses s’opposent. Une première école affirme que la primauté de l’analyse doit porter sur le nombre total d’habitants de la planète. Une seconde école considère au contraire que le nombre total n’a guère d’importance. Peu importe, à l’analyse stratégique, que la population mondiale atteigne 9 ou 11 Md. Il faut aborder les problématiques démographiques dans une perspective détaillée, dynamique et géographique. Par exemple, les taux de fécondité de la France et de l’Italie atteignent en 2007 respectivement 1,95 et 1,3. Alors que les deux voisins ont le même poids politique au Parlement européen, on peut imaginer que celui-ci soit amené à être profondément bouleversé si ces taux se maintiennent durant plusieurs années. Il faut se baser sur les différentiels d’indicateurs démographiques pour prévoir les écarts de vitalité culturelle, économique ou religieuse et leurs effets en géopolitique interne comme internationale. Il s’agit, par exemple, d’analyser les fractures jeunes-vieux, citadins-paysans, plein-vide ainsi que les conflits et flux migratoires résultants. Ainsi, le vieillissement, la sur-masculinité dans certains pays et l’urbanisation sont identifiés comme trois des grands défis du siècle résultant des évolutions de population. Si la Chine devait avoir en 2050, le même taux de population agricole que la France aujourd’hui, alors 400 millions de paysans chinois migreraient vers les villes. Se basant sur l’hypothèse de tensions entre peuples à structures différentes, les relations entre les États-Unis et l’Europe pourraient éprouver de plus en plus de difficultés. À l’inverse, la convergence des taux de natalité de part et d’autre de la Méditerranée favorise un rapprochement stratégique de l’Europe et d’une partie du monde arabe.
Force est d’observer que par-delà les oppositions, un premier constat rassemble toutes les écoles : si rien ne change, l’Europe et la Russie « sortiront de l’Histoire ». L’Europe, historiquement un des trois grands foyers de peuplement de la planète, est devenu le continent le plus vieilli et le seul à connaître une décroissance naturelle. Seconde observation : de l’autre côté de la Méditerranée, l’Afrique subsaharienne va être confrontée à un défi majeur, l’absorption de plus d’un milliard d’habitants en l’espace de quarante ans. La gestion des espaces sera une des clés de cette question, car contrairement à l’Asie, où les sols permettent aux populations de rester sédentaires, les Africains doivent se déplacer (vers le littoral, les villes, l’Europe) du fait de l’épuisement des sols agricoles. Concernant la sécurité alimentaire, les grandes famines annoncées ne sont pas survenues. En revanche, aujourd’hui, « les rivaux des pauvres pour l’accès à la nourriture ne sont pas les riches mais les vaches des riches » : au Danemark, 50 % des calories absorbées sont d’origine animale, contre 5 % au Bengale.
Il ressort des analyses actuelles qu’une décélération accrue de la croissance mondiale, puis sans doute un plafonnement vers 2050 autour d’un plateau de 8 ou 9 Md fait actuellement consensus entre experts. Bien entendu, les méthodologies divergent. Certains basent leurs travaux sur le taux de fécondité, d’autres sur le taux net de reproduction. Le juste emploi des termes transition et révolution démographique fait toujours débat. Les estimations de l’ONU, d’où sont tirés les chiffres énoncés, prêtent à des discussions, notamment par leur approche statistique et ternaire de la démographie. À chaque nouvelle parution, tous les deux ans, ces prévisions sont d’ailleurs revues à la baisse. Gardons en mémoire qu’en 1931, Alfred Sauvy prévoyait que la population française atteindrait tout au plus 40 millions d’habitants en 1980. L’humanité n’est pas à l’abri d’une nouvelle catastrophe, et rappelons que la grippe espagnole a fait autant de victimes que la première guerre mondiale.
S’il faut donc relativiser ces perspectives, il est tout aussi important de bien restituer l’esprit de leur démarche. Prospective n’est pas prévision. L’objectif n’est pas tant d’anticiper à la lettre les phénomènes à venir que de les contrôler pour les intégrer dans nos politiques et stratégies.
Quelles sont les implications géostratégiques de l’accroissement démographique ? Quel est l’impact de cet accroissement sur la conflictualité du monde au XXIe siècle ? Quels sont les éventuels modes de résolution et d’organisation qui en résulteront ? C’est l’objet des prochaines étapes de cette recherche dont rendra compte la chronique suivante. ♦