FARC
FARC
Sujet d’actualité s’il en est, et susceptible de ce fait d’avoir évolué entre le moment où sont tracées ces lignes et celui de leur publication. L’auteur cède la parole à un dénommé Esteban Avila, membre de l’honorable corporation, fait prisonnier et condamné à bon nombre d’années d’incarcération, sauf… libération, notamment en cas d’échange, maître mot en l’occurrence dans la mesure où la liberté des êtres humains devient ici la matière première d’un « business comme un autre ».
Les otages des Farc comprennent deux catégories : d’une part, un bon millier que l’on peut qualifier de « logistiques », individus fort ordinaires soumis à rançon et marchandage, y compris si un destin défavorable conduit à ne restituer qu’un cadavre, consolation limitée pour les proches mais au moins possibilité juridique de constat, donc de transmission des biens de la victime ; d’autre part, 44 « canjeables » (la comptabilité est précise et la liste nominative figure en annexe) beaucoup plus considérables que les précédents, permettant au mouvement « d’acquérir une visibilité immédiate au niveau national et international », d’accéder au tambour médiatique et de négocier un échange contre une masse de guérilleros détenus par le pouvoir. Parmi ces personnages notoires figure bien entendu celle qui est devenue la préoccupation de nos gouvernants et la madone de l’intelligentsia parisienne. D’Ingrid Betancourt l’ouvrage donne d’ailleurs une image élogieuse : « femme de conviction et de foi ».
Le lecteur bénéficie ainsi d’une description vue de l’intérieur. Dans la nébuleuse révolutionnaire de l’Amérique latine, plus ou moins soutenue par la « théologie de la libération », on note certes bien des constantes et l’ombre emblématique du Che n’est jamais bien loin. Mais nous n’en apprenons pas moins ici beaucoup, à travers le parcours d’un authentique ancien « fariano », sur les particularités des Farc : la prospection et la formation des recrues ; une vie rude menée dans des régions « aux reliefs tourmentés et couverts de forêts » et menacée par toutes sortes de dangers propres à l’existence dans la jungle ; une discipline rigoureuse ne reculant pas devant la pratique de châtiments ultimes, mais n’empêchant pas à l’occasion l’éclosion de relations amoureuses, voire matrimoniales, plus ou moins tolérées, ni la survenance d’applications du syndrome de Stockholm ; la hantise de l’extradition vers les États-Unis en cas de capture. L’organisation est à la fois « extrêmement hiérarchisée », décentralisée et fondée sur un véritable arsenal législatif. Au sommet, le personnage de Marulanda (dont on apprend au passage que son célèbre surnom de « Tirofijo » viendrait moins de la précision de son tir aux armes à feu que de ses succès auprès du beau sexe, au point d’avoir parsemé « des dizaines d’enfants dans tout le pays ») ne désigne plus qu’un homme vieillissant, gravement malade, peut être déjà mort, en tout cas remplacé par de nouveaux responsables politiques (1). Bien que discrète, la relation avec la drogue est certaine : dans une convergence d’intérêts, les Farc sont devenues l’intermédiaire obligé entre les producteurs et le narco-trafic.
Le président Uribe, soutenu apparemment par la majorité de son opinion publique et par les États-Unis, rejetant la prétention des Farc de bénéficier de zones franches de surface considérable (celle de la Suisse !) sceptique devant des essais de pourparlers débouchant sur des « dialogues de sourds », disposant de forces armées de mieux en mieux entraînées et équipées aux ordres d’une hiérarchie militaire motivée, entend parvenir à la « récupération graduelle de l’autorité de l’État sur la totalité du territoire » et possède à cet effet de solides atouts. Il doit toutefois tenir compte de son isolement politique au niveau régional, tandis que les préoccupations humanitaires concernant certains otages sont susceptibles de gêner son action. ♦
(1) NDLR. La mort de Marulanda a été annoncé le 26 mai. L’ouvrage précise que depuis juin 2004, le responsable politique des Farc est Alfonso Cano.