L'Iran face aux puissances
L'Iran face aux puissances
Puisque l’Iran est devenu le problème international le plus aigu de l’heure, il convient de lire avec attention le dernier livre de Romain Yakemtchouk, professeur émérite de l’Université de Louvain, ancien conseiller scientifique de l’Institut royal des relations internationales (Bruxelles), et ancien expert de l’Union européenne pour le programme Tacis. Cette véritable somme, écrite dans un style serré, effectue en effet le tour d’horizon, le plus complet qui soit des relations internationales de la Perse, renommée Iran, en 1935, par Reza Shah Pahlavi, le père du dernier shah.
Tout commence au XVIIIe siècle, qui vit s’épanouir le jeu des rivalités opposant la Grande-Bretagne à l’Empire russe dans le cadre du « Grand jeu ». Déjà le destin des trois pays actuels du Caucase, Arménie, Azerbaïdjan et Géorgie se trouvait être l’enjeu de la compétition russo-turco-iranienne. Il est utile de connaître ces multiples épisodes historiques pour comprendre bien des enjeux actuels. Mais « la bataille pour le pétrole allait ouvrir un nouveau chapitre de l’histoire de l’Iran ». Par exemple, un archéologue français, Jacques de Morgan, découvrit un gisement pétrolier et publiait en 1892 le résultat de ses travaux dans les Annales des Mines de Paris. On sait que, par la suite William d’Arcy obtint du shah en 1901 le privilège spécial et exclusif de l’exploration et de la commercialisation… pour une durée de soixante ans (art. 1er de la concession). En 1908 le brut fut découvert et la même année fut constituée l’Anglo-Persian Oil Cy, ancêtre de la BP. Winston Churchill, premier Lord de l’Amirauté, prit en 1913 la décision historique de remplacer le charbon par le mazout pour la propulsion de ses navires et obtint pour la Couronne une participation majoritaire de 56 % dans l’Anglo-Persian. L’Iran pénétrait dans la cour des grands, des pays producteurs dont elle écrira maints chapitres comme les fameux accords de Téhéran de 1971. L’accord anglo-russe de 1907 permit aux deux puissances jadis rivales de se répartir l’Iran, ce qui donna naissance à des malentendus ultérieurs, comme après la Seconde Guerre mondiale lorsque Staline s’empara en 1946 de l’Azerbaïdjan iranien, donnant naissance à la première crise Est-Ouest. Téhéran opta pour la neutralité durant la Première Guerre mondiale. La Russie, devenue soviétique, renonça à tous les privilèges des tsars, et conclut avec l’Iran le traité du 26 février 1921. Ce texte lui octroyait en effet le droit d’une éventuelle intervention militaire au cas où l’indépendance de l’Iran serait menacée.
En 1926, le nouvel homme fort, Reza Khan, fut couronné sous le nom de Shah Reza Pahlavi. Il supprima le régime des capitulations et améliora les relations avec la Turquie. Mais déjà apparurent les premiers différents avec l’Irak à propos de la navigation sur la Chatt al-arab, un des prétextes dont se saisit par la suite Saddam Hussein pour attaquer l’Iran des mollahs, le 20 septembre 2000, donnant naissance à un meurtrier conflit de huit ans. Durant la Seconde Guerre mondiale, le shah opta pour l’Allemagne, ce qui provoqua l’intervention anglorusse dans le pays. Contrairement à son père, discrédité par ses engagements pro-allemands, son fils Mohammed prit le parti résolu des États-Unis où il effectua, en 1949, son premier voyage officiel. S’ensuivirent trois décennies d’étroite alliance au cours desquelles le shah devint le meilleur allié de Washington dans la région et s’arrogea le rôle de gardien du golfe Persique, surtout après le retrait de Londres à l’Est de Suez, décidé par le travailliste Harold Wilson en 1968. À maintes reprises, la question pétrolière resurgit, comme lors de l’épisode de la nationalisation décrétée par Mossadegh. En 1955, Téhéran adhérait au Pacte de Bagdad réunissant l’Irak, la Turquie, le Pakistan et la Grande-Bretagne afin de contenir la pénétration soviétique au Moyen-Orient.
L’auteur passe en revue de manière fort circonstanciée les principaux volets des relations extérieures de l’Iran avant et après la Révolution islamiste : Irak, Afghanistan, pays arabes, États-Unis, Russie, Israël, Caucase et Asie centrale mer Caspienne, Turquie, UE. Un chapitre important est consacré, cela va de soi, à la question nucléaire. Ce sont surtout les relations difficiles avec l’Irak, les États-Unis et Israël qui ont poussé Téhéran à envisager la fabrication d’armes nucléaires, note-t-il. Sans détenir de quelconque secret, il estime peu envisageable l’hypothèse d’une attaque aérienne israélienne sur les installations nucléaires iraniennes. Les F-15 et F-16 devraient dans ce cas accomplir entre 1 600 et 2 800 kilomètres selon l’itinéraire adopté et refaire le même parcours pour retourner vers leurs bases, en utilisant soit l’espace aérien turc, soit jordanien, irakien, voire saudi-arabien alors que l’aviation israélienne ne dispose que de cinq avions ravitailleurs Hercules-130 pour accomplir de tels exploits. Plus crédible semble alors l’éventualité d’une intervention américaine pour laquelle le Pentagone a élaboré dès 2003 divers scénarios d’attaque. L’Iran dispose-t-elle en définitive des moyens de son ambition ? Tout dépendra des cours du pétrole qui constitue 82 % des exportations iraniennes. Avec les millions de barils/jour, le pays engrange quelque 60 milliards de dollars de recettes annuelles. Romain Yakemtchouk, constate bien, par ailleurs, que l’Iran, faute de capacité de raffinage suffisante, est contrainte d’importer le tiers de ses besoins en produits finis et que son économie reste fragile. Des fissures se font sentir aussi sur le front intérieur, comme l’ont montré les manifestations d’étudiants de décembre 2006. Au-delà de ces constatations générales tout est conjoncture. En tout cas, ce qu’il convient d’éviter, selon l’auteur, c’est l’ingérence étrangère dans les affaires intérieures de ce pays, fier, qui n’a renoncé ni à la gloire ni au leadership régional. Telle était la situation au début 2007, depuis elle a changé. ♦