Le cadre juridique actuel de l’emploi des forces armées françaises souffre d’une faiblesse politique et doctrinale. Politique, car le refus de reconnaître des situations de conflit armé entraîne une excroissance de la « crise » qui ne peut, en elle-même, trouver le fondement d’un usage de la force étendu. Doctrinal, car il est manifeste que, contrairement aux Britanniques par exemple, les forces françaises ne disposent d’aucun document clair et synthétique à l’usage du commandement. Au-delà de l’article L. 4123-12 II du Code de la Défense prévoyant une exonération pénale ad hoc, il s’agit d’agir sur le plan institutionnel et d’ouvrir le chantier du travail doctrinal au sein des armées.
Pour un droit opérationnel incontestable
An unchallengeable law on operations
The current legal framework for the employment of French armed forces suffers from political and doctrinal weaknesses: political, because the refusal to recognise armed conflict situations for what they are is leading to excessive reference to ‘crises’, in which it is not possible in itself to justify the use of extended force; doctrinal, because it is clear that the French forces do not have any single and clear overall document for use by the command structure, in contrast to the British, for example. We need now to act at an institutional level and begin working on doctrine within the forces in order to go beyond the existing Article L 4123-12 II of the Defence Code, which allows for ad hoc exemption from criminal prosecution.
Bien que l’emploi de la force par les armées françaises dans les opérations extérieures (Opex) devienne chaque jour plus intense, une frilosité du vocabulaire politique persiste, marquée par le rejet des termes « conflit armé ». On a pu entendre par exemple le mot « sécurisation » pour qualifier la mission des soldats français en Afghanistan.
Ce glissement du verbe résulte du refus de discriminer l’ami de l’ennemi, « distinction spécifique du politique » (1). Pourtant cette problématique n’est pas nouvelle. Le rapport du groupe d’étude sur les opérations de paix des Nations unies (rapport Brahimi) (2) notait ainsi en août 2000 : « Rien n’a été plus préjudiciable à la réputation et à la crédibilité de l’ONU en matière de maintien de la paix au fil des années 90 que sa réticence à distinguer entre la victime et son agresseur ». Le débat distinguant guerre et conflit armé est stérile. Ce qui importe est l’ordre juridique spécial (lex specialis) créé par la double décision de recourir à la force armée et de lui attribuer une capacité de coercition. Ainsi, la guerre (ou le conflit armé) est un prolongement naturel de la décision politique. Si des conventions internationales (dont la classification doctrinale classique distingue le droit de La Haye regroupant les règles régissant la conduite des hostilités, et le droit de Genève, correspondant aux règles relatives au traitement des personnes se trouvant au pouvoir de l’ennemi) (3) apportent à ce « fait social » (4) des principes modérateurs, elles reconnaissent en premier lieu la fonction du combattant qui, dépositaire du monopole de la violence étatique, dispose du privilège de tuer son ennemi (5).
La « crise » occupant aujourd’hui tout l’espace sémantique, l’absence de référence à un conflit armé rompt un continuum politico-juridique cohérent, fondé sur la souveraineté de l’État. Or, il n’existe pas de « droit de la crise internationale » se substituant au droit des conflits armés (DCA). Il est sans doute vrai de dire que les opérations contemporaines s’insèrent dans un environnement complexe et fluide. Il est également vrai d’observer que leur cadre juridique national et international n’est pas satisfaisant. En conséquence, s’appuyant sur les conflits modernes, une réflexion juridique exhaustive devrait être menée dans le cadre de la réforme de nos institutions et, au sein du ministère de la Défense, une structure doctrinale permanente activée.
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