Extraits du discours de M. François Fillon, Premier ministre, lors du débat portant sur la Présidence française de l’Union européenne (PFUE) à l’Assemblée nationale le 18 juin 2008 (www.premier-ministre.gouv.fr).
Une Europe souveraine et influente
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La Présidence française du Conseil de l’Union européenne va commencer dans moins de deux semaines. Elle suscite beaucoup d’espoirs parce que la France est attendue et qu’elle est respectée.
Elle devra répondre à des interrogations de fond. Elle interviendra dans une période sensible qui réclamera du sang-froid et de la détermination.
Elle débutera quelques jours après la décision négative des Irlandais sur la ratification du Traité de Lisbonne.
Ranimer la flamme de l’Europe…
La vérité, c’est que le résultat de ce référendum pose à l’Europe un défi. Et je vous propose de l’aborder sans détours et sans craindre de défendre à haute voix la cause de l’Europe.
C’est l’Europe qui a mis un terme à des siècles d’affrontements entre nos nations; c’est l’Europe qui a permis notre essor économique et social; c’est l’Europe, qui, sans un seul coup de feu, a rassemblé 27 nations qui, de façon libre et souveraine, ont décidé d’unir leur destin.
Moi qui fus hostile au Traité de Maastricht, qui milite en faveur d’un patriotisme éclairé, j’affirme que la cause européenne mérite l’engagement décidé de la France. Elle le mérite parce que ce défi qui est lancé à l’Union est certes un défi institutionnel, mais, soyons vigilants parce qu’il prend, jour après jour, un caractère existentiel.
Après le «non» d’une majorité de Français et de Néerlandais, le «non» d’une majorité d’Irlandais nous somme de ranimer la flamme dangereusement vacillante de l’Europe.
Que l’Europe — l’une des entreprises les plus audacieuses de notre histoire contemporaine, l’une des œuvres politiques les plus bénéfiques de notre continent, cette œuvre que plusieurs régions du monde observent avec envie — que cette Europe-là soit ainsi si peu considérée, cela révèle un problème de sens.
Il faut que nous ayons le courage de le reconnaître : si l’Europe est mal aimée c’est parce qu’elle est devenue le bouc émissaire de tous nos maux, dont certains d’ailleurs ont bien peu à voir avec l’Union.
Mais il faut aussi le courage de l’avouer : si l’Europe est mal comprise, c’est aussi parce que l’Union n’a pas su trouver les mots et les actes pour susciter une adhésion plus puissante que la somme des contestations.
…Et retrouver un dessein politique
L’Europe a besoin de retrouver un dessein politique. Elle a besoin d’être portée par une âme commune.
Au-delà des questions institutionnelles, l’Europe doit tout à la fois nous protéger, nous séduire et nous grandir.
La carte du monde se couvre de défis nouveaux.
Défi, l’exceptionnelle montée en puissance des continents asiatique et indien dont les forces sont en train de bousculer nos héritages.
Défi, la prédation écologique qui dérègle les équilibres naturels de la vie terrestre.
Défi, le regard d’une Afrique qui se tourne vers les richesses du Nord.
Défi, cette cohabitation des civilisations que le monde d’aujourd’hui s’ingénie, tout à la fois, à rapprocher et à diviser.
Dans ce monde prometteur et instable, l’Europe n’est pas condamnée à se taire et à subir.
Face à ces défis, le «non» irlandais peut être considéré comme «injuste», comme le disent certains commentateurs… Moi, je pense qu’il doit être analysé, respecté et considéré comme un appel supplémentaire à l’action et à la conviction.
Et la première de ces convictions, c’est que l’Union européenne ne doit pas rester paralysée et tétanisée, parce que l’amertume et l’immobilisme ne font pas partie de la Présidence française de l’Union!
Il y a un problème, j’ai envie de dire «un de plus», eh bien à nous de le relever. À nous de mesurer ce qui s’est exprimé en Irlande. À nous d’éviter toute interprétation hâtive, toute décision précipitée.
Lors du Conseil européen des 19 et 20 juin 2008, nous allons, tous les Européens ensemble, examiner avec le Premier ministre irlandais comment gérer cette situation.
Le Traité de Lisbonne
À ce stade, je veux rappeler, avec Bernard Kouchner et Jean-Pierre Jouyet, notre adhésion de fond au Traité de Lisbonne.
N’en déplaisent aux partisans du statu quo et aux promoteurs de l’introuvable plan B, ce traité est meilleur que celui de Nice.
Il constitue un bon équilibre entre deux nécessités : d’une part, le renforcement des institutions communes; d’autre part, l’affirmation de l’identité des États membres.
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Il a déjà été ratifié par 18 États membres. Et le moment venu, il nous faudra voir comment obtenir l’indispensable ratification de tous. Cela pourra prendre du temps.
Le référendum irlandais bouscule le processus institutionnel.
Mais sur le fond le signal qu’il nous envoie s’ajoute aux enjeux complexes qui déterminent l’orientation de la Présidence française : des marchés financiers encore instables; un prix du pétrole record, avec de sérieuses conséquences pour l’économie mondiale et pour les populations les plus fragiles; une conjoncture économique américaine qui semble se dégrader; un dérèglement climatique aux risques chaque jour plus évidents.
Eh bien tous ces enjeux, nous allons devoir en tenir compte.
Et nous le ferons en entendant le message politique que nous adresse le peuple irlandais, et que nous, Français, nous sommes bien placés pour comprendre : il faut apprendre à faire l’Europe autrement. Voilà le message!
Faire l’Europe autrement
Faire l’Europe autrement, c’est montrer aux citoyens européens que l’Europe ne se résume pas à des querelles institutionnelles.
C’est montrer que l’Europe sait se mobiliser et qu’elle sait agir.
Après le référendum irlandais, les priorités de la Présidence française se révèlent plus pertinentes que jamais. L’objectif doit être de répondre aux préoccupations concrètes des citoyens européens. C’est justement l’orientation que nous avions choisie pour la Présidence française. C’est bien celle qui paraît la plus nécessaire dans le contexte actuel.
Réchauffement climatique
Première priorité : répondre au défi climatique. Et là, l’Europe doit montrer l’exemple.
Elle doit se doter d’ici à la fin de cette année d’un plan précis de réduction des émissions de gaz carbonique et de développement des énergies renouvelables.
Elle doit le faire parce que c’est une priorité de l’ensemble pour l’ensemble de l’humanité, elle doit le faire avec l’objectif d’entraîner l’ensemble de l’humanité dans un acte responsable pour préserver la planète.
Ce rendez-vous est d’ores et déjà fixé en 2009 à la conférence de Copenhague. Les décisions que nous allons prendre sous la Présidence française de l’Union européenne sont de nature à permettre ou à ne pas permettre un accord à Copenhague. Elles sont de nature à entraîner ou à ne pas entraîner les autres régions du monde vers une attitude responsable sur ces sujets.
Pour cela, il faut donc que les décisions européennes de réduction du gaz carbonique soient elles-mêmes très ambitieuses.
Il faut que l’Europe mette en place des incitations financières pour encourager les pays en développement à s’associer cet effort.
Et il faut enfin des moyens, y compris des moyens de dissuasion, pour convaincre certains États tiers de ne pas fuir leurs responsabilités dans la lutte contre le changement climatique.
Stratégie énergétique
Ce défi climatique n’est pas dissociable du défi énergétique.
Pendant trop longtemps, l’Union européenne s’est désintéressée de cette question. Eh bien c’est maintenant un problème central.
La France veut une stratégie européenne pour l’énergie. Il s’agit d’abord de renforcer l’indépendance de notre continent.
À côté de cette indispensable réponse structurelle, qui doit prendre d’abord la forme d’un très important plan d’économies d’énergie à l’échelle de l’Europe tout entière, nous devons trouver des réponses coordonnées pour soulager à court terme les populations qui souffrent le plus de la hausse du prix du pétrole.
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Le défi énergétique impose aussi de mieux organiser la production d’énergie en Europe : il faut relancer les investissements de capacité de production et d’interconnexion; encourager les énergies renouvelables mais aussi toutes les énergies non carbonées, comme l’énergie nucléaire; s’organiser pour pouvoir répondre à une possible rupture d’approvisionnement dans un État membre. Et enfin, il faut relancer une coopération constructive avec les principaux fournisseurs de l’Europe, au premier rang desquels se trouve la Russie.
Défi alimentaire
Au défi énergétique s’ajoute désormais le défi alimentaire.
L’Europe a déjà fortement réformé sa politique agricole pour supprimer certaines conséquences néfastes sur les marchés tiers. Mais la Politique agricole commune (Pac) doit encore s’adapter dans un environnement qui a changé. Le monde peine à répondre à la demande de produits alimentaires. Des risques croissants pèsent sur l’environnement. Nos sociétés refusent à juste titre la désertification des territoires ruraux.
Les agriculteurs — qui ne se résignent pas à vivre comme des assistés — souhaitent cependant une meilleure protection des aléas climatiques et sanitaires.
Eh bien tout cela, le bilan de santé de la Pac devra le prendre en compte.
Il faudra dégager des principes pour guider la Pac du futur, sans pour autant toucher à son budget, qui est programmé jusqu’en 2013.
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Pacte européen sur l’immigration et l’asile
Troisième défi de la Présidence française, c’est la maîtrise des flux migratoires.
Tout ce qu’un État membre fait dans ce domaine a désormais des conséquences sur ses voisins.
L’Europe ne doit pas être une forteresse, mais l’Europe ne doit pas non plus être une passoire.
Le temps des actions unilatérales, de l’immigration subie et des régularisations massives, ce temps-là est révolu.
Il ne s’agit pas, dans notre esprit, de donner plus de compétences à l’Union européenne mais de conclure un pacte pour une action coordonnée entre les États membres et l’Union européenne.
Nous voulons agir ensemble en faveur d’une immigration choisie parce que c’est la meilleure garantie pour un meilleur accueil des étrangers et pour une lutte plus efficace contre l’immigration clandestine.
La France fera tout pour parvenir rapidement à la conclusion de ce Pacte européen sur l’immigration et l’asile.
Défense et sécurité européennes
Vous savez que nos États membres dépensent ensemble chaque année 40% du budget américain de la défense, avec un résultat global opérationnel qui n’est pas à la hauteur de nos ambitions.
Cela n’est pas digne d’une Europe souveraine et influente.
La Présidence française sera l’occasion de proposer de nouvelles solutions pragmatiques pour augmenter les capacités militaires et civiles des États européens. En matière de projection de forces, de capacités maritimes, d’observation spatiale, d’industries de défense, et de planification et de conduite des opérations militaires, nous proposerons que l’Europe assume mieux ses responsabilités.
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Cette Présidence française ne sera pas que la présidence du gouvernement français.
Elle sera aussi celle du Parlement national et dans la situation actuelle, nous avons plus que jamais besoin de vous, besoin de votre engagement, besoin de votre unité. Votre action sera déterminante. Votre rôle auprès des autres Parlements nationaux ainsi qu’auprès du Parlement européen sera important. Il nécessitera une étroite coordination entre nous.
Cette Présidence sera aussi celle des Français. Les collectivités territoriales, les artistes, les entreprises, les citoyens : beaucoup ont déjà des projets prometteurs et chacun aura son rôle à jouer.
Cette Présidence sera enfin celle de tous les Européens. Sans les autres États membres, sans le Parlement européen, sans les peuples européens, nous serons naturellement impuissants.
La France doit se montrer grande et entraînante pour l’Europe, et non pas seulement pour elle-même.
Avec Bernard Kouchner, avec Jean-Pierre Jouyet, avec tous les membres du gouvernement, nous avons une responsabilité.
Sous l’impulsion du président de la République, nous l’assumerons avec la gravité et avec la détermination d’une nation dont l’ambition se conjugue avec celle de nos partenaires. ♦