De la France de toujours à l'Europe de demain
De la France de toujours à l'Europe de demain
Recueil de souvenirs, ou essai géopolitique ? À vrai dire, l’ouvrage de Jacques Favin-Lévêque tient des deux genres : souvenirs d’un officier général, sorti de l’École polytechnique dans le Génie, ayant accompli l’essentiel d’une carrière très diversifiée durant la guerre froide, essai d’un citoyen français passionnément amoureux de son pays dont l’avenir est pour lui profondément lié à celui de l’Europe.
Tout au long de ces pages, les deux thèmes s’entrecroisent et entrent sans cesse en résonance. C’est qu’ils ont une commune caractéristique : pour la vie militaire comme pour la géopolitique européenne, la deuxième moitié du XXe siècle est une période charnière, marquée de changements profonds qui n’excluent pas des permanences significatives. Le talent de conteur de l’auteur, son humour voire parfois sa causticité, font de ces réflexions, qui pourraient être austères, une lecture agréable, souriante, et profondément sympathique.
De la guerre froide aux opérations extérieures, des responsabilités nationales aux opérations multinationales, d’une armée « de non-emploi » à des unités engagées jusqu’à la « surchauffe », les armées françaises, et tout particulièrement l’Armée de terre ont connu, durant ces décennies, une véritable révolution, s’ajoutant aux évolutions technologiques des armements modernes. Les récits et les réflexions de Jacques Favin-Lévêque mettent bien en valeur cet environnement. De fait, le métier d’officier qu’il a exercé avec enthousiasme s’est lui aussi profondément transformé : les manœuvres dans les sempiternels Mailly-Mourmelon-Sissonne-Münsingen-Stetten, et la planification de la défense de la « trouée de Fulda », qui lui ont été si familières, n’ont pas grand-chose à voir avec les missions au Kosovo ou en Afghanistan que connaissent nos jeunes camarades.
Pourtant, de fortes constantes demeurent, sur lesquelles ce livre fait réfléchir et sur lesquelles, de toute façon, il faut construire l’avenir. Jacques Favin-Lévêque s’attarde à juste titre sur ce qui lui tient le plus à cœur. Avec force, il préfère la « passion de la défense » à la « passion guerrière » comme motivation de l’officier. À maintes reprises, son récit montre combien il ressent la nécessité d’être un citoyen à l’aise avec les divers aspects de la vie nationale et un responsable au fait des évolutions intellectuelles et scientifiques : témoin ses réflexions sur le cursus de formation qu’il a suivi (« taupe », Polytechnique ou École de Guerre), sur la guerre d’Algérie, sur la politique de dissuasion nucléaire, sur les relations franco-allemandes, ou sur l’informatique dans les PC, etc. Concrètement, il montre l’importance vitale des relations humaines dans l’armée, ne serait-ce qu’en citant de nombreux noms de ceux qu’il a côtoyés, qu’il a commandés ou sous les ordres desquels il a servi. Enfin, son propre itinéraire au Sirpa, aux relations internationales de la DGA puis au Gicat met en valeur une des qualités essentielles de l’officier : l’adaptabilité.
Depuis plus de cinquante ans, la construction européenne pose à nos consciences de citoyens une question fondamentale : notre patriotisme français, fait de désir de servir, de fierté du passé et de foi dans l’avenir, est-il compatible avec des convictions européennes impliquant la poursuite persévérante d’un projet politique commun ? Comme tous les officiers de sa génération, Jacques Favin-Lévêque est amené à se forger sa propre réponse au long de sa carrière. Mais ce sont ses fonctions dans l’industrie de défense terrestre qui lui permettent de constater que les intérêts stratégiques de la France et ceux de l’Europe sont de plus en plus imbriqués. Ainsi s’affirme fortement sa vision de la place de notre pays dans l’Union. Alors que certains stigmatisent une prétendue perte d’identité qui menacerait les pays de l’UE, il voit à juste titre dans une Europe politique la seule façon pour la France de continuer à peser sur le destin du monde.
Pour ce faire, les questions de défense sont évidemment centrales. Il montre bien tous les progrès déjà accomplis dans ce domaine, mais aussi tout ce qui reste à faire. Certes, les institutions sont importantes, et, dans la mesure où les péripéties relatives à sa ratification seront surmontées, le Traité de Lisbonne, malgré ses imperfections, apportera des avancées essentielles. Mais l’avenir dépendra aussi des mentalités : côtoyant des Européens à qui leurs habitudes « otaniennes » font voir trop souvent l’avenir à travers des lunettes exclusivement américaines, Jacques Favin-Lévêque met en évidence les évolutions que nous devons promouvoir dans les esprits.
Aussi attaché aux racines (y compris chrétiennes) de notre pays que confiant dans l’avenir, il pense que « le soleil se lèvera sur une France dont les citoyens seront fiers d’être français dans une Europe puissante et généreuse et feront entendre dans le monde la voix de la sagesse retrouvée ». ♦