Saint-Gotthard, 1664
Saint-Gotthard, 1664
Il fallait bien un Hongrois, s’exprimant d’ailleurs en bon français, pour remettre les idées en place et éviter confusion et oubli. Primo, le terme de Saint-Gothard évoque pour le commun des mortels occidentaux un col et un tunnel et non, avec un « t » supplémentaire, une bourgade coincée à la confluence des frontières autrichienne, hongroise et slovène. Secundo la constante et séculaire pression de la Porte en direction de Vienne se limite le plus souvent dans notre mémoire aux deux sièges menés sans succès par Soliman en 1529 et par Mustapha en 1683 pour finir sur les éclatantes victoires du prince Eugène, tandis que Juan d’Autriche avait réglé les comptes sur mer à Lépante. On omet le choc important narré ici par Toth.
Son ouvrage se concentre donc sur une bataille oubliée, livrée de part et d’autre de la rivière Ràba à l’été 1664. L’ennemi est supérieur en nombre, organisé et agressif, avec ses féroces janissaires collectionneurs de têtes coupées. En face, une armée européo-chrétienne, hétérogène pour ne pas dire hétéroclite, handicapée par la confusion des langues et dépourvue de tout soutien logistique. « Nous eusmes, à la rencontre sur nostre route, des compagnies d’infanterie allemande, qui n’avoient presque pas plus de couleur et de mouvement que des morts deterrez. La pluspart n’avoient ny chappeau ny souliers ny armes ». Tout au plus, un certain « esprit de compétition » bande les énergies et se retrouvera dans la gloriole des témoignages ultérieurs. Malgré le talent militaire du commandant en chef Montecuccoli, ancien de la guerre de Trente Ans et fidèle soutien des Habsbourg, il n’est donc pas étonnant que l’affrontement débute mal. Les Turcs établissent une tête de pont et la situation devient catastrophique vers midi, lorsque se produit un brusque sursaut parmi les troupes chrétiennes, élan général mais à attribuer en premier lieu aux 6 000 Français du comte de Coligny, ardents, disciplinés et déjà as de l’interarmes. Les adversaires sont rejetés, se noient en masse dans la rivière devenue un « cimetière flottant », tandis que leurs vainqueurs, énergiques mais loin de l’esprit des futures conventions de Genève, « découvrirent leurs blancs postérieurs et se tournèrent vers ceux qui étaient dans l’eau. Ils tapotaient leurs fesses souillées avec leurs mains sales en criant : hé, le Turc et en se livrant à toutes sortes de railleries ».
Un comble ! Oubliant les alliances de jadis contre Charles Quint, le contingent français a cette fois sauvé la maison d’Autriche ; au moins provisoirement, car faute de poursuite le succès est mal exploité. Un traité plutôt favorable aux Turcs se transforme pour les Chrétiens en « défaite diplomatique ». La presse (déjà !) en rajoute et les Hongrois sont fort « malcontents ».
Ferenc Toth ne se limite pas au récit du combat, dont les détails sont parfois un peu difficiles à suivre sur des cartes peu lisibles où cohabitent noms germaniques et magyars. Il trace de façon claire le cadre historique, géographique et politique dans lequel s’inscrit l’épisode de Saint-Gotthard. Il ne manque pas de souligner cette occasion de remplacement des notions médiévales par « l’idée d’une Europe moderne ». En prime, il montre la photo de l’émouvante petite stèle bâtie sur les lieux par le Souvenir Français et rappelle comment le comte de la Feuillade, un des combattants et habile courtisan, profita de l’occasion pour faire ériger en plein Paris une statue équestre de son souverain et aménager autour la… place des Victoires. ♦