Heydrich et la solution finale
Heydrich et la solution finale
« La solution finale du problème juif » est souvent confondue avec les dispositions prises lors de la conférence de Wannsee du 20 janvier 1942, pour y parvenir. Pour assurer une pérennité millénaire au Grand Reich, la solution finale conçue par Hitler consistait à rendre Judenfrei (libre de Juifs) la totalité de l’Europe. Ne peut-on, en conséquence, considérer ce concept comme le but stratégique premier de Hitler ?
On trouve dans l’ouvrage d’Édouard Husson bien des éléments tirés des ordres, diatribes et discours du dictateur, qui tendraient à le démontrer. L’idée fixe de Hitler, la raison d’être de son combat est : les Juifs ont failli anéantir l’Allemagne en novembre 1918 ; cela ne doit plus être possible ; les Juifs doivent être éliminés d’Europe et maintenus à jamais au-delà de l’Oural. En 1939, c’est ce que lui impose la guerre inévitable, voulue par les Juifs qui gouvernent, en fait, tout ce qui n’est pas directement sous contrôle ou influence nazie. « La solution finale du problème juif » est trouvée, reste à la construire.
Édouard Husson s’applique à démontrer par une démarche rigoureuse, documentée, croisée avec celle d’autres historiens, que la conférence de Wannsee avait pour but de donner, sous l’autorité de Reinhard Heydrich un cadre légitime définitif pour un ensemble de mesures criminelles, déjà en cours depuis 1939. Ces mesures, parfois mal accueillies par la Wehrmacht ou certains féodaux, devenaient impératives pour tous. Destinées à atteindre la solution finale, elles concernaient 11 millions de Juifs, méticuleusement recensés dans toute l’Europe, y compris en Grande-Bretagne. Le protocole de Wannsee passe sous silence les centaines de milliers de Juifs déjà assassinés par les Einsatzgruppen en Pologne, en Ukraine, en Biélorussie… La conférence de Wannsee était aussi destinée à entériner la prééminence de Heydrich, Obergruppenüfhrer SS, chef du RSHA (Office central de la sécurité du Reich) et de la Police, adjoint de Himmler, sur toute la mise en œuvre des moyens, procédures, méthodes applicables pour arriver à court terme à la solution finale. La situation du front de l’Est ne permettait plus l’application des plans antérieurs de la solution finale, visée pour l’après-guerre.
L’ouvrage démontre que Heydrich avait élaboré les plans avant l’envahissement de la Pologne, et largement utilisé les « étapes intermédiaires » et les « expériences acquises » – par exemple par les lois sur l’euthanasie – pour susciter le judéocide. Il avait aussi efficacement utilisé la « liberté prussienne » accommodée à l’hitlérienne qui laissait aux subordonnés toute latitude pour interpréter des ordres flous, pourvu que la « volonté du Führer » soit bien servie.
La démonstration se construit chronologiquement, à partir d’une multitude de documents et de témoignages d’origines variées. Heydrich, après le 20 janvier 1942, n’avait plus qu’à donner ses instructions, principalement à Eichmann, son adjoint principal dans ce domaine, pour procéder à la destruction immédiate, complète, de tous les Juifs saisissables. Les camps d’extermination se multipliaient, l’assassinat par le travail d’esclave s’aggravait encore, l’entreprise commencée en 1939 devenait un infernal système d’anéantissement, conçu, organisé, et orchestré par Reinhard Heydrich.
L’auteur ne relate pas la biographie de Heydrich, mais il relate les éléments qui dessinent un portrait sans fioritures inutiles et donnent les pistes, notamment les fausses rumeurs sur la judéité de son père le musicien Bruno Heydrich, pour expliquer les ressorts de sa diabolique carrière. Il s’abstient de tout artifice ou figure de style pour laisser toute sa force à la démarche historique, claire dans son plan et son cheminement.
Heydrich et la solution finale d’Édouard Husson constitue certainement une contribution essentielle à la compréhension de la Shoah et de l’acharnement funeste d’un homme ambitieux à la concevoir et à l’organiser, pour mieux servir le Führer et mériter sa reconnaissance. ♦