Revue des revues
• Europaïsche Sicherheit, n° 1/2009 : « Politique de sécurité de l’Allemagne – Points forts, faiblesses, devoirs ».
Ouvrant à Berlin le forum « Impulsions 21 », Horst Köhler, président de la République fédérale, analyse la politique de sécurité de l’Allemagne, points forts, faiblesses et devoirs.
Points forts
Le pays remplit mieux ses obligations internationales que ne le prétendent ses détracteurs. L’énergie déployée à l’intérieur pour intégrer les Länder de l’Est ne l’a pas été aux dépens des efforts pour l’élargissement de l’UE, ou d’une participation accrue aux travaux des Nations unies. « En politique de sécurité aussi, nous sommes fiers d’avoir progressivement pris davantage de responsabilités internationales, grâce à nos soldats ». Leur métier est devenu plus dangereux car, de plus en plus fréquemment, ils ont à combattre. Pourtant, le succès stratégique dépendra d’abord des talents de médiateurs, d’ambassadeurs crédibles de nos valeurs et d’assistants techniques, plus que des capacités proprement militaires. Nous sommes réellement convaincus que seule une politique étrangère, de sécurité et de développement la plus civile possible peut servir de base incontournable à toute paix durable.
Faiblesses
La guerre froide gagnée, beaucoup ont proclamé « la fin de l’Histoire » et voulu « toucher les dividendes de la paix ». Certes, on se réjouit de la disparition de cette frontière saignante qui coupait en deux la patrie. Les dépenses de défense et de sécurité ont très fortement décru après 1989. Sont-elles encore à un niveau suffisant pour assurer les activités, de routine ici et d’opérations à l’extérieur, compte tenu des menaces nouvelles ? Aux spécialistes de le dire.
La nécessaire réorientation de la Bundeswehr (passée d’armée de défense du territoire à une force d’intervention à l’extérieur) est dans l’ensemble une réussite. Les Allemands y sont favorables mais il pourrait y avoir un danger éventuel que les citoyens lui imposent progressivement des charges allant au-delà de ce que leur devoir de solidarité avec leurs compatriotes en uniforme comporte.
Autre point à considérer, posséder un équipement moderne ne peut suffire à aucune armée engagée en opérations ; il lui faut aussi le soutien de la population, que celle-ci participe à sa vie et à ses dangers. On ne saurait se satisfaire d’un simple « amical désintérêt » car la Bundeswehr fournit une prestation vitale pour assurer au pays un avenir heureux.
La fidélité en Alliance est un bien précieux ; nous lui devons notre liberté et notre unité. À elle seule, elle est toutefois insuffisante lorsque, avant des interventions très difficiles, les citoyens demandent, à juste titre, qu’on leur fournisse des motifs convaincants. Énoncer ceux-ci peut renforcer leur compréhension de nos intérêts politiques. Encore faut-il auparavant les avoir définis de façon convaincante, puis en faire la promotion et poursuivre avec détermination, le tout avec une dose adéquate de préférence nationale pour leur classement.
On ne devrait, par exemple, jamais envoyer de soldats dans une intervention aux buts peu clairs, ou mauvais parce que vus de trop haut ; il n’y a plus alors de critère déterminant de succès ou d’échec et on manquerait de la vision claire du moment auquel se termine cette intervention et de la façon de le faire. Pas question non plus de poursuivre des buts justes sans avoir les moyens suffisants : cela nuirait à notre crédibilité internationale. Ce qui est politiquement nécessaire est à fournir et à appliquer de façon convaincante, y compris à l’égard de la population locale parce que, dans les démocraties, son acceptation est une condition nécessaire du succès.
Devoirs
Ils découlent de ce qui précède.
Les citoyens ont besoin d’une culture politique reposant sur une meilleure appréciation des valeurs, des institutions, des alliances, et surtout des hommes et des femmes qui protègent et assurent la liberté et le droit. Cette culture, chacun de nous peut la promouvoir dans sa propre sphère. Il faudrait davantage d’attention, de solidarité et de reconnaissance envers ces soldats qui risquent leur vie au bénéfice de l’ensemble des Allemands et d’un monde meilleur et plus sûr.
La crise financière est là pour nous rappeler que seul un ordre mondial coopératif pourra maîtriser nos tâches humanitaires globales. L’Otan pourrait y avoir un rôle important en développant davantage encore une culture d’écoute mutuelle et de volonté de coopérer. Le président Köhler se réjouit que l’Alliance devienne encore plus une communauté de valeurs et se conçoive comme alliance politique, point focal des consultations transatlantiques. Il espère que le prochain Sommet de Strasbourg-Kehl enverra un signal fort vers une nouvelle architecture internationale de sécurité qui, outre les questions militaires et de terrorisme, serait axée sur la pauvreté et le changement climatique qui menacent nos valeurs et la liberté. Pilier central de cette architecture en réseaux, cette Otan travaillerait en étroite coopération avec les Nations unies et, bien sûr, avec l’UE. Relever un tel défi pourrait être sa tâche majeure des soixante prochaines années, une tâche qui profiterait aussi bien aux États membres qu’à l’ensemble du monde.
Autre thème concret auquel Strasbourg-Kehl devrait apporter une amorce de solution, le désarmement : davantage d’armes n’apporteront pas la sécurité au monde multipolaire en gestation. H.-D. Genscher (1) l’a très bien exprimé : « Le danger de prolifération d’armes nucléaires résulte aussi du développement débridé des potentiels atomiques des grandes puissances qui ne respectent pas les traités qu’elles ont signés. La sortie de conventions acceptées témoigne d’idées rétrogrades. Qui peut négliger les avertissements en faveur d’un désarmement nucléaire de H. Kissinger, G. Shulz et S. Nunn ? ».
Autre question importante : en quoi ces prétendues « nouvelles guerres » qui sévissent dans des contrées pauvres et éloignées diffèrent-elles de tout ce pour quoi ont été bâties nos armées ? Ces conflits durent parfois des décennies parce que, pour ceux qui les dirigent, ils sont économiquement lucratifs. Ces warlords sont en cheville sur le marché mondial avec les trafiquants de drogue et de matières premières illégalement extraites. Le flot d’armes légères bon marché, l’évanouissement de l’ordre des États et l’absence de tout avenir pour de jeunes générations contribuent à leur persistance.
Ces conflits nous interpellent : que représentent effectivement pour nous nos valeurs ? Déduction pratique : comment protéger celles-ci plus efficacement ?
En dépit de quelques affaires non résolues, l’Allemagne et les Allemands ont produit un ensemble fort convenable ; ils ont le droit d’exiger qu’il soit tenu compte des résultats obtenus. Généralement friands de concepts, les Allemands n’ont pourtant pas encore suffisamment conscience des composantes extérieures de leur sécurité et de leur bien-être ; ils ne font pas tout ce qu’il faudrait pour stabiliser et entretenir ces facteurs. Maintes nations se tournent vers eux dans l’espoir d’une contribution qui imposera des sacrifices. Nous avons encore beaucoup à apprendre pour regarder en face cette réalité, et pour supporter les douleurs qu’elle entraînera.
« La politique de sécurité est un terrain difficile, et plus encore, complexe. Elle est affaire de perspicacité et de force de volonté, qualités qui, dans notre démocratie libérale, sont à travailler. Sont décisifs également votre apport, votre engagement, et votre force de conviction. Je souhaite plein succès à vos débats et aux engagements qui suivront, espérant que l’opinion publique leur accorde toute l’attention qu’ils méritent ». ♦
(1) Alors président du FDP, Haass-Dietrich Genscher est resté de 1974 à 1992 l’inamovible ministre des Affaires étrangères de RFA dans les coalitions gouvernementales successives, SPD-FDP et CDU/CSU-FDP.