L'eau. Un bien ? Un droit ? Tensions et opportunités
Le livre d’Alexandre Taithe, chargé de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, préfacé par Michel Miraillet, directeur chargé des affaires stratégiques au ministère de la Défense, donne des précisions intéressantes sur le problème de l’eau dans le monde.
Dans une première partie, l’auteur analyse la dimension économique de l’eau. L’agriculture est de loin le plus gros consommateur et de ce fait les réformes agraires revêtent une importance primordiale. La productivité agricole dans les pays en développement est nettement inférieure à celle dans les pays développés. Le gaspillage dans les pays pauvres est souvent élevé. La salinisation grandissante des cours d’eau et nappes souterraines réduit la ressource. L’emploi généralisé des engrais et pesticides accroît la pollution. Les nitrates s’avèrent en particulier dangereux. L’industrie, deuxième consommateur d’eau, aggrave la dégradation de l’environnement en déversant des substances chimiques. Les centrales thermiques et nucléaires qui utilisent l’eau à des fins de refroidissement provoquent une augmentation de température en aval, génératrice de la prolifération d’algues, lesquelles favorisent l’eutrophisation à l’origine de la raréfaction des autres plantes aquatiques et des poissons. Les matières fécales contribuent également à la pollution. Environ 80 % des maladies dans le Tiers-Monde sont dues à la consommation d’eau insalubre. Partout dans le monde, les villes doivent aller chercher l’eau dont elles ont besoin de plus en plus loin, parfois à plusieurs centaines de kilomètres.
Les débats sur un éventuel droit de l’homme à l’eau potable posent le problème de la place du secteur privé. Ce dernier commercialise l’eau, ce que contestent ceux qui considèrent qu’il s’agit d’un bien commun. L’urbanisation massive de la population interpelle les États, les municipalités et les compagnies privées. L’alimentation des plus pauvres pose problème dans un cadre purement capitaliste.
Le dessalement de l’eau de mer se fait selon divers procédés, bien au point. Il ouvre des perspectives intéressantes pour les 2,4 milliards de personnes vivant à moins de 100 kilomètres des côtes. L’Espagne investit lourdement dans ce domaine. Des expérimentations utilisant l’énergie nucléaire pour dessaler se font au Japon, en Chine et en Inde. Les pays du golfe Persique utilisent l’eau dessalée non seulement pour la consommation mais aussi pour l’agriculture.
L’auteur estime que le traitement et la réutilisation des eaux usées sont également prometteurs. Ils coûtent moins cher que le dessalement. Ils augmentent les ressources en eau potable et contribuent aussi à réduire la pollution. Ainsi, même les pays bien pourvus en ressources naturelles y ont recours.
Les transferts massifs d’eau créent des tensions au sein des pays, entre provinces. Pour l’auteur, les exportations d’eau à partir de pays bien pourvus vers d’autres déficitaires ne paraissent pas une solution viable. La propriété de l’eau peut susciter des contestations pour les cours d’eau et nappes souterraines se trouvant sur plusieurs pays. La réalisation d’aqueducs coûte plus cher que le dessalement, comme le montre le projet Languedoc-Roussillon-Catalogne qui ne s’étend que sur 320 kilomètres. Malgré ces réserves, des transferts se font, comme au Japon, à Taiwan, en Corée, aux îles Bahamas, en Grèce entre Le Pirée et les îles hellènes, entre la Turquie et le Nord de Chypre, entre la Turquie et Israël et même en France (île de Porquerolles).
La surexploitation provoque l’assèchement des cours d’eau et des nappes souterraines. En 2050, 4 milliards de personnes connaîtront un stress hydrique.
L’auteur définit un taux de dépendance, le rapport entre les ressources provenant de l’extérieur des frontières et les ressources globales. Parmi les pays les plus dépendants figurent l’Égypte, le Turkménistan, la Mauritanie, la Hongrie, le Bangladesh, le Niger, la Syrie, le Botswana, le Soudan et l’Ouzbékistan.
La deuxième partie de l’ouvrage répertorie les fonctions de l’eau : boisson, alimentation, santé, hygiène, nettoyage, industrie, irrigation, énergie… En analysant ces fonctions, les acteurs politiques peuvent mieux gérer les ressources, l’eau destinée à un usage particulier ne pouvant être utilisée pour un autre. L’auteur nous indique que la plupart des civilisations admettent la gratuité de l’eau. Il mentionne le rôle de l’eau dans les diverses religions, chrétienne, bouddhiste, hindoue, musulmane. L’accès à l’eau est très inégal, la distance parcourue par jour étant très variable, de 8 à 15 kilomètres.
L’auteur affirme, exemples à l’appui, qu’aucun lien n’existe entre la disponibilité de l’eau et le développement. Certains pays mal pourvus sont cependant riches et d’autres bien pourvus sont pauvres. Mais il est évident que la présence d’eau reste un facteur favorable.
L’auteur mentionne une prise de conscience mondiale. L’ONU consacre à l’eau sa première conférence en 1977 à Mar del Plata qui affirme un droit de l’homme à l’eau. Des institutions spécialisées sont créées : Conseil mondial de l’eau, Partenariat mondial pour l’eau. Des forums mondiaux de l’eau sont organisés. Des décennies de l’eau sont proclamées de 1981 à 1990 et de 2005 à 2015.
Le coût de l’eau retient l’attention de l’auteur. Il faut construire des réseaux et les entretenir. Les investissements sont en général importants, ce qui nécessite des garanties à long terme. La gestion dans les villes des pays en développement est souvent difficile par manque de planification initiale. Des connexions illégales se font dans les quartiers défavorisés, dans les bidonvilles. Les agriculteurs ne remboursent qu’une partie des coûts de l’eau qui leur est fournie. Les subventions publiques deviennent une nécessité. Le prix de l’eau est un sujet sensible et doit être modulé par le pouvoir politique en fonction des circonstances. Le recours au secteur privé apparaît parfois nécessaire, mais la propriété des ressources et des infrastructures restent dans le domaine public.
Dans la troisième partie consacrée aux différentes dimensions de la ressource, l’auteur affirme qu’il n’existe pas de modèle universel pour gérer l’eau. Les solutions ne peuvent qu’être locales. Les usagers doivent couvrir les frais de la gestion de l’eau (traitement, distribution). Mais une exception doit être faite en faveur des plus démunis. À juste titre, l’auteur préconise une meilleure adaptation des cultures aux ressources disponibles. Il faut tenir compte que le coton et le riz exigent plus d’eau que le maïs et le blé qui, eux-mêmes, en consomment davantage que les légumes. L’autosuffisance alimentaire peut ne pas être la règle dans la mesure où les importations sont possibles. Ainsi, le fort potentiel sud-américain pourrait être utilisé au profit de l’Asie, notamment la Chine. L’accroissement des surfaces utilisées pour la production d’agrocarburants se fait au détriment de la fourniture d’aliments. Les villes qui se développent de plus en plus se retrouvent en compétition avec les campagnes pour l’accès à l’eau.
L’auteur mentionne qu’il existe 263 bassins internationaux, ce qui explique les tensions et affirme la nécessité d’une coopération. Il détaille la gestion de grands fleuves, le Nil, le Jourdain, l’Euphrate et le Tigre, le Syr Daria et l’Amou Daria, l’Indus, le Mékong, le Sénégal, le Rio Grande… La Convention des Nations unies sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation, conclue en 1997, vise à favoriser les ententes entre les pays amont et les pays aval mais, faute de ratifications suffisantes, elle n’est pas encore en vigueur.
L’abondante bibliographie a de quoi satisfaire les lecteurs les plus exigeants et curieux. Les annexes apportent des précisions intéressantes sur le stress hydrique, la coopération internationale et les tensions. On pourrait reprocher à l’auteur quelques répétitions, mais son ouvrage est le résultat d’une recherche sérieuse et servira de référence. ♦