Eurodéfense - Pour une relance d'une Europe de la défense
Comme chaque année, le Conseil économique de la défense (CED) que préside Philippe Esper, président d’Eurotradia, nous livre son diagnostic et ses recettes pour engager le processus Eurodéfense. Entre profusion de données sur les économies de défense, les politiques industrielles européennes, et les aléas de l’affirmation d’une politique européenne de défense, la livraison de cette année se singularise par un environnement international mouvant caractérisé, entre autres, par l’avènement de menaces globales et de nouveaux rapports de force.
L’UE est, en effet, menacée par une contrainte énergétique de plus en plus prégnante qui la place en position de dépendance vis-à-vis de certains pays producteurs (notamment la Russie). Dans ce contexte, la crise financière planétaire est un facteur supplémentaire de blocages quant à l’émergence d’une « Europe de la défense » qui fêtera pourtant cette année son dixième anniversaire.
L’ouvrage, édité pour la première fois aux éditions Unicomm, qui se sont spécialisées dans la diffusion d’ouvrages de référence sur les questions internationales et stratégiques, dresse un état des lieux hélas conforme à la réalité, bien éloignée d’une PESD et d’une Pesc rêvées qui font pourtant consensus aux yeux de nombreux Européens.
Des budgets de défense inadaptés, caractérisés par une asymétrie de moyens et une absence de coordination flagrante sont la cause d’une faible cohérence de ces budgets au niveau européen, au regard de ceux en vigueur dans d’autres parties du monde notamment aux États-Unis.
La dispersion des programmes, un marché européen en mal de fluidité et l’absence de réels « champions industriels » européens confirment s’il n’en était encore besoin la fragilité du tissu industriel européen.
Un cadre institutionnel peu lisible, en attente des simplifications prévues par le Traité de Lisbonne, semble « relativiser » la réussite des 23 opérations militaires et civilo-militaires engagées par l’UE depuis 2003. Il subsiste, en effet, de graves carences quant à la conduite autonome de ces opérations. L’incapacité à se doter de moyens de planification stratégique communautaire en est l’exemple le plus flagrant.
L’ouvrage, signé par Philippe Esper, Christian de Boissieu, Bernard Bigot, Michel Scheller et Yves-Thibault de Silguy, ne se contente pas de dresser l’oraison funèbre de l’Europe de la défense, mais propose bel et bien des outils ambitieux de relance.
Cela passe en premier lieu par l’affirmation plus crédible de la part des États membres d’une politique européenne de défense partagée, la nécessité de mener ensemble des opérations et ce, de manière autonome, le besoin d’assurer l’efficacité des dépenses et la mise en place d’une industrie aéronautique, spatiale, de défense et électronique solidaire.
Le Conseil économique de la défense, organisme indépendant composé des professionnels de la défense, des parlementaires et des animateurs, co-auteurs du présent ouvrage, va plus loin en décrivant avec minutie comment engager concrètement le processus Eurodéfense. Cela implique l’affirmation d’une volonté politique en guise de préalable, comme en attestent, du reste, tous les euro-baromètres.
Le renforcement d’une Base industrielle et technologique de défense (BITD), l’élaboration d’un budget à la hauteur des menaces actuelles et de celles de demain, et une meilleure rationalité économique – passant par le renforcement des partenariats public-privé (PPP) et un recours plus systématique à la logique d’externalisation – n’en sont que quelques exemples.
Au-delà, la création d’un état-major européen permanent, centre névralgique d’une future « coopération structurée permanente » permise par le Traité de Lisbonne, renforce l’image d’une Europe volontariste et pragmatique, que résume la formule « quand l’Europe veut, l’Europe peut ».
La dernière partie de l’ouvrage permet d’engager en détails le processus commencé depuis quelques années par le CED, dans les précédentes éditions d’Eurodéfense. Les recettes en sont désormais connues. Il s’agit de la mise en place d’un groupe de progrès pour une avancée institutionnelle qui confirme que la relance de l’Europe de la défense est inimaginable à 27. Les perceptions des enjeux et des priorités de défense par chaque État membre de l’UE sont encore trop éloignées, surtout en période de crise économique et financière. Les attitudes des gouvernements et les propositions d’actions sont, dès lors, très loin d’être homogènes et cohérentes. Une base institutionnelle serait donc nécessaire, notamment pour avancer plus vite et plus loin dans la mise en place d’un espace de sécurité et de défense collectif.
Les auteurs, forts des nombreuses auditions d’experts français et européens venus d’horizons différents, vont jusqu’à dresser le « menu des consultations ».
Il s’agit, tout d’abord, de faire vivre la volonté politique de quelques pays visant à développer et à entretenir ensemble des outils communautaires à vocation diplomatique et militaire capables d’assurer la sécurité des États membres et la défense des intérêts européens partout dans le monde. Cette démarche se voudrait nécessairement cohérente avec les organes existants consacrés à la défense. L’ouvrage préconise d’engager ainsi des discussions rapides visant à permettre une meilleure articulation entre Eurodéfense et les structures institutionnelles et opérationnelles déjà solidement en place au sein de l’UE. Il ne s’agit « ni de concurrencer ni d’alourdir » un dispositif déjà suffisamment complexe.
Dans ce cadre, la mise en place d’un comité politique d’Eurodéfense s’intégrant dans la PESD existante (à l’instar de l’Eurogroupe pour l’euro) est une piste envisagée par les cinq codirecteurs de l’ouvrage. Il en va de même pour une représentation commune au sein du Comité politique et de sécurité (COPS) et du Comité militaire de l’UE (CMUE). Néanmoins, la cohérence de l’harmonisation du « triptyque politique-opérationnel-industriel » visant à un fonctionnement efficace d’Eurodéfense passe nécessairement par la sensibilisation des opinions publiques. Ces dernières, mobilisables à l’échelle européenne des intellectuels, chercheurs, industriels, acteurs économiques et responsables politiques et associatifs, sont les indispensables maillons assurant la cohésion d’ensemble du projet.
Les thurifaires d’Eurodéfense engagent les lecteurs (notamment français) à prendre leur « bâton de pèlerin » afin de faire progresser le projet au-delà des mentalités et intérêts propres à chaque pays. L’ambition peut sembler démesurée, sauf à considérer que la présidence espagnole de l’UE sera de même nature que la présidence française de l’UE, du moins dans son volontarisme et ses ambitions géopolitiques d’ores et déjà affichées. Il n’est dès lors pas inenvisageable de réfléchir d’emblée au prochain Conseil européen consacré à la PESD, à l’occasion de cette présidence (premier semestre 2010) puis dans la foulée lors de la présidence belge qui lui succèdera. La France a également tout son rôle à jouer, notamment depuis la réintégration de notre pays dans le commandement militaire intégré de l’Alliance atlantique, qui ouvre un nouveau chapitre – plus équilibré – du partenariat Europe/États-Unis.
La conclusion de ce remarquable ouvrage, particulièrement détaillé, complété d’un utile « catalogue » des « Économies et des industries de défense en Europe et dans le monde », de plusieurs tableaux portant sur « Les défenses et sécurités des pays européens face aux défis liés à l’énergie, aux matières premières, à l’eau et à l’environnement », ainsi que de cartes précises, semble évidente. Dès lors les quatre considérations finales, tirées de l’histoire de la construction européenne depuis plus d’un demi-siècle, s’imposent d’elle-même : l’initiative née par l’émergence d’un groupe de progrès, le besoin d’un cadre institutionnel, la mise en oeuvre assurée grâce à un dialogue politique équilibré et, in fine, une volonté politique plus nettement affichée.
Reste aux responsables politiques nationaux et européens à en être convaincus. ♦