L'eau, source de menaces ?
Le livre de Barah Mikaïl, enseignant à l’université Paris-8 et chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), ancien directeur de séminaire au Collège interarmées de défense (CID), apporte une utile contribution à une série impressionnante d’ouvrages consacrés à l’eau. En 152 pages, il aborde les principaux problèmes qui font débat. Son livre ne relève pas seulement du domaine de la géopolitique stricto sensu car il s’intéresse aussi aux questions techniques et juridiques ainsi qu’aux aspects commerciaux. À l’analyse thématique, s’ajoute une description par régions géographiques au fil des pages, mais surtout à la fin de l’ouvrage.
D’emblée, l’auteur fait remarquer à juste titre que l’eau, indispensable à la vie, ne doit pas seulement être disponible, mais doit aussi être propre à la consommation. Il fait état d’un constat accablant : plus du tiers de l’humanité n’a pas un accès régulier à l’eau potable. Dans le monde, vingt pays connaissent la pénurie, la plupart en Afrique et au Moyen-Orient. Et les ressources diminuent alors que les besoins s’accroissent du fait de l’augmentation de la population, de l’amélioration du niveau de vie et de l’industrialisation. De plus en plus polluée, l’eau n’est plus source de vie, mais devient vecteur de maladie et de mort.
L’auteur étudie les sources de gaspillage, et d’abord l’irrigation effectuée le plus souvent selon des procédés archaïques, les méthodes modernes étant efficaces mais chères. La compétitivité entre agriculteurs sacrifie les enjeux écologiques. Face à la pollution de l’agriculture, qui emploie pesticides et engrais chimiques, et de l’industrie, la sensibilisation des populations est plus grande dans les pays industrialisés que dans les pays en voie de développement. L’Agence européenne pour l’environnement (AEE) n’a guère d’équivalent dans le monde.
Des solutions existent pour lutter contre la pollution et accroître la ressource disponible. Le recyclage des eaux usées doit être privilégié, nous dit l’auteur, une affirmation désormais reprise par tous les experts. Il réduit la pollution tout en augmentant la ressource. Cependant, il est coûteux et difficile à mettre en œuvre dans les pays pauvres. Les pays riches n’assurent pas un recyclage complet, la France par exemple ne traitant que la moitié de ses eaux usées. Le dessalement de l’eau de mer ou de l’eau saumâtre, auquel doivent recourir certains pays, est encore plus onéreux. Ceux de la péninsule Arabique peuvent se le permettre. L’auteur se livre alors à une description technique sommaire des différents procédés de dessalement. Les barrages font l’objet d’un court développement : ils ne présentent pas que des avantages car ils modifient durablement les écosystèmes.
Ensuite les aspects juridiques sont abordés, en analysant les rôles respectifs des secteurs public et privé. Avec le consentement des autorités gouvernementales aussi bien dans les pays développés que dans les autres, le secteur privé construit parfois les structures de raccordement et de distribution. Il recherche le profit et fixe les tarifs. Les divers modes de gestion sont expliqués : contrats d’affermage, octrois de concessions, régies constituant un système intermédiaire consacrant la souveraineté de l’État, mais assurant une rémunération aux prestataires. Aucune solution n’est parfaite, nous dit l’auteur, le tout public ou le tout privé présentant des inconvénients. Les contestations des populations peuvent faire évoluer les systèmes de gestion et faire reculer des sociétés privées, comme en Inde, en Bolivie et en Afrique du Sud.
L’auteur considère que le rôle des organisations internationales est utile. L’ONU peut garantir une cohésion de l’ordre mondial, la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) peut rectifier les éventuelles dérives des États membres de l’Union européenne. Les principales conférences consacrées à l’eau font l’objet de courts développements sans complaisance.
Barah Mikaïl souligne, avec raison, la place importante que joue l’eau dans les relations internationales. Il reprend une étude antérieure faite par un autre auteur, qui donne une typologie des conflits possibles dus à l’eau, mais indique, à juste titre, que cette classification mériterait d’être améliorée. Puis il décrit ce qu’il appelle les doctrines internationales de l’eau, à savoir la doctrine de la souveraineté nationale absolue (connue sous le nom de Harmon, un Américain) favorable aux pays en amont ; celle de la première appropriation favorisant les premiers exploitants ; celle de la souveraineté territoriale limitée prenant en compte les besoins de tous les pays concernés ; enfin celle de la communauté d’intérêts basée sur la concertation. Sont ensuite mentionnées les diverses conventions internationales qui constituent un outil de référence, encore bien embryonnaire nous dit très justement l’auteur. In fine, sont décrites les situations existantes sur tous les continents.
Dans sa conclusion, l’auteur fait remarquer que les problèmes liés à l’eau sont parfaitement identifiés à l’échelle de la planète mais que les solutions tardent alors qu’une « bombe hydraulique planétaire guette l’humanité ». Il préconise que les États restent maîtres des ressources hydriques, ce qui n’exclut pas le recours à des firmes privées pour les gérer. ♦