Le discours historique de réconciliation des États-Unis vis-à-vis du monde arabo-musulman prononcé par Barack Obama au Caire, le 4 juin 2009, ouvre la voie à une ère politique nouvelle au Proche-Orient. C’est un changement majeur perçu comme tel par les responsables politiques du monde arabe. Il n’est pas certain que les autorités israéliennes en aient pleinement mesuré l’ampleur.
Comment Barack Obama peut-il faire pression sur Benjamin Netanyahou ?
How can Barack Obama put pressure on Benjamin Netanyahu
The historic speech on reconciliation between the United States and the Arab Muslim world by Barack Obama in Cairo on 4 June 2009 opens up a new political era in the Middle East. This groundbreaking change is seen as such by Arab political leaders, but it is not clear that the Israeli authorities for their part have fully assessed its magnitude.
La stratégie du président Obama est simple : réaffirmer le leadership contesté des États-Unis, non pas de manière coercitive, mais à travers un soft power rénové qui leur permette de se réconcilier à la fois avec le Tiers-Monde et les puissances émergentes, sans s’aliéner ses alliés traditionnels. Pour ce faire, le président américain vise deux objectifs. Il doit tout d’abord faire face à la crise financière mondiale en évitant que celle-ci ne déstabilise trop les fragiles équilibres internationaux. Il doit ensuite redresser l’image des États-Unis, notamment dans le monde arabo-musulman, pour pouvoir aborder avec davantage de chances de succès les dossiers prioritaires de la nouvelle administration : retrait planifié d’Irak ; stabilisation du théâtre Afghanistan-Pakistan (de manière à envisager le retrait du contingent américain lors du second mandat du président Obama) ; règlement de la crise nucléaire iranienne ; règlement équitable de la question palestinienne. Pour se donner le maximum de chances d’y parvenir, Barack Obama sait qu’il lui faut réengager le dialogue avec l’Iran et la Syrie en leur proposant de mettre tous les dossiers sur la table. Il sait également qu’il lui faut exercer les pressions nécessaires sur les autorités israéliennes pour faire progresser de manière significative la résolution du conflit israélo-palestinien.
De son côté, Benjamin Netanyahou est prêt à tout pour éviter un clash avec Washington qui serait dramatique pour lui et sa coalition. Il semble décidé à conclure des accords partiels ou intérimaires qui ne lui coûteront pas grand-chose, qui seront acceptables par sa frange ultranationaliste et ultrareligieuse, qui lui permettront de reporter le blâme sur ses interlocuteurs arabes et palestiniens s’ils ne sont pas respectés, et qui suffiront, espère-t-il, à faire patienter l’administration américaine, en attendant que d’autres crises mobilisent l’attention du locataire de la Maison-Blanche.
Face à la procrastination du Premier ministre israélien, le président Obama, qui a fait preuve à la fois de détermination et d’une extrême prudence sur ce dossier, dispose de plusieurs moyens de pression, même s’il sait qu’il ne pourra ni réduire l’assistance financière, ni toucher à l’assistance militaire dont les États-Unis font profiter Israël. Une telle décision serait immédiatement perçue comme une atteinte grave à la sécurité de l’État juif et entraînerait immanquablement l’intervention de l’American Israel Public Affairs Committee (AIPAC) au Congrès. Car autant les lobbyistes pro-israéliens sont mal à l’aise sur la question des colonies et ne peuvent décemment pas remettre en cause le principe d’un État palestinien, autant ils semblent prêts à s’opposer à l’administration pour assurer la pérennité de l’assistance matérielle et financière américaine.
L’administration américaine dispose néanmoins d’autres moyens de pressions pour faire plier le gouvernement israélien. Tout d’abord, elle peut cesser d’exercer systématiquement son droit de veto au Conseil de sécurité au profit d’Israël, accroissant ainsi l’isolement diplomatique de l’État hébreu. Elle peut ensuite diminuer graduellement le niveau de la coopération militaire dans des domaines cruciaux tels que le renseignement, le spatial, les communications, la détection, voire le nucléaire, dans lesquels Israël est très dépendant des États-Unis. Elle peut également insister publiquement pour qu’Israël rejoigne la conférence de révision du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) l’année prochaine, comme le Département d’État l’a suggéré début mai 2009, ce qui contraindrait Israël à reconnaître ouvertement son arsenal nucléaire et formaliser une doctrine de dissuasion applicable à l’encontre de ses adversaires potentiels, ce que les Israéliens se sont toujours refusé de faire. Elle peut enfin réduire les garanties bancaires qu’elle accorde à Israël, à l’instar des mesures prises par James Baker en 1991-1992 pour contraindre Ytzhak Shamir d’accepter le processus d’Oslo.
Sans en arriver à de telles extrémités, il existe sans doute un autre moyen à la fois simple, peu douloureux et très efficace pour faire pression sur le gouvernement israélien. Il suffit pour l’administration américaine de faire comprendre au gouvernement israélien que les intérêts stratégiques des deux pays ne sont plus systématiquement convergents. Celle-ci pourrait dès lors laisser de côté Israël dans le processus de négociation enclenché avec l’Iran, en ne l’informant ni de l’état d’avancement des discussions, ni de leur contenu. Ce faisant, les négociateurs américains feraient directement comprendre aux autorités israéliennes que les sujets qui préoccupent Israël ne sont plus forcément prépondérants dans l’agenda de Washington et ne sauraient compromettre le résultat de la négociation globale. Rien de tel pour inquiéter Jérusalem. Il suffit de voir la colère de Benjamin Netanyahou lorsque Barack Obama s’est refusé à l’informer à l’avance de son discours du Caire, pour comprendre l’impact potentiel de cette stratégie de pression indirecte. Celle-ci paraît d’autant plus efficace qu’elle ne se manifeste par aucun acte « agressif » et ne peut donc pas être brandie pour instrumentaliser une riposte lobbyiste au Congrès. Quant à savoir si le président Obama est prêt à aller aussi loin pour contraindre Israël au compromis, cela reste à démontrer. D’autant qu’il lui faut faire face aujourd’hui à d’autres dossiers jugés plus prioritaires (1). ♦
(1) Cette réflexion a été également diffusée par l’International Herald Tribune et le New York Times dans leur édition du 16 septembre 2009.