Aux sources officielles de la colonisation française. Vers la décolonisation : 1940-2009
Dans son numéro de janvier 2009, Défense nationale et sécurité collective présentait À la croisée des chemins, un précédent ouvrage, largement autobiographique, dans lequel un jeune lieutenant de réserve des tirailleurs sénégalais, perdu dans un poste quelque part au milieu du delta du Tonkin, découvrait, en lisant les cinq tomes de Jacques Pirenne sur Les grands courants de l’histoire universelle, la marche inexorable et indifférente aux contingences humaines des civilisations. Cinquante ans plus tard, devenu contrôleur général des armées (cr), le même officier débutait un « septennat » de recherches et d’écriture destiné à montrer comment l’histoire de la colonisation française n’était, somme toute, qu’un moment de cette marche des civilisations.
Persuadé que ses compatriotes n’ont qu’une vue fragmentaire et politiquement « romancée » de cette histoire, et dans le but d’éclairer sa thèse, il entreprit alors d’exhumer les textes officiels qui, selon lui, au fil des ans, ont réellement façonné l’histoire. Le lecteur ne sera donc pas surpris par le nombre des annexes dont une au moins, c’est à noter, a été récupérée cette année par ses soins dans les archives à Hanoï.
Dans un premier ouvrage – du même titre mais paru aux éditions Thélès – constituant le premier volet d’un triptyque, il rappelle, à partir du Traité de Tordesillas (1494), les textes de l’Ancien Régime, de la Révolution, de l’Empire, de la Restauration et du Second Empire.
Le deuxième tome – 1870-1940, paru lui aussi chez l’Harmattan – traite de la période où, sous la IIIe République, l’empire colonial français atteint son apogée. Après avoir dégagé les principales étapes officielles de cette colonisation : « l’expansion coloniale », « la grande césure », « vers un monde nouveau » ; il soulève huit thématiques allant de l’organisation administrative à la mémoire officielle. Pour des raisons qui appartiennent à l’éditeur, le présent ouvrage est scindé en deux tomes : « Les faits » et « Constats et réflexions ».
Le premier volume aborde la période qui va de septembre 1939 jusqu’au départ du général de Gaulle de la vie politique en juin 1969. Une histoire bien connue penserez-vous, et pourtant ; la lecture vous apprendra peut-être quelque chose : un seul exemple, parmi la liste des dizaines de textes édictés par la France Libre et se rapportant, peu ou prou, aux colonies, on trouve (p. 93) une ordonnance créant des centres d’internement pour « les individus dangereux pour la défense nationale ».
Le second volume évoque des questions horizontales, en retenant trois thèmes : l’indépendance, l’état des lieux et la Mémoire.
L’indépendance : un grand mot certes, mais une réalité fondée sur la zone franc. Et que se passa-t-il après l’indépendance des pays africains et malgaches notamment ?
L’état des lieux : en 1946, la France légifère sur les anciennes colonies, qui deviennent des départements français, c’est la politique d’assimilation. Comment se fait-il qu’aujourd’hui la politique dite de la France d’outre-mer s’applique à des départements français ? Pourquoi, se demande l’auteur, ces départements bénéficient-ils encore aujourd’hui, dix ans après l’abolition du service militaire devenu service national, d’un service militaire adapté et qu’un sénateur français en demande le maintien dans un rapport d’avril 2008 ?
La Mémoire : pour l’auteur, en conformité avec l’idée de la « fugacité » des civilisations, l’inversion de la colonisation est un « fait » dont il faut prendre conscience. Par ailleurs, dans les démocraties, la Mémoire est libre. Le pouvoir, fut-il législatif, n’a pas à dicter sa façon de penser à l’historien.
Dans la conclusion, Eugène-Jean Duval reprend tous ces thèmes, s’interroge, nous interroge sur l’avenir au regard de nos sociétés d’opulence confrontées, en particulier, à l’explosion démographique dans leurs anciennes colonies.
Un ouvrage qui permet de comprendre la réalité « coloniale » d’hier et, par là, celle d’aujourd’hui. ♦