Les liens entre mondialisation et politiques nationales de défense constituent un vaste champ de réflexion dont les contours restent souvent flous. L’impact militaire des technologies spatiales, l’implication grandissante du secteur privé dans le domaine de la défense ainsi que le rôle primordial de la coopération militaire étrangère et celui de l’information sont des aspects essentiels de la corrélation entre mondialisation et défense. L’analyse qui suit apporte un éclairage original sur les grandes mutations que connaît la pensée stratégique depuis deux décennies du fait de ces inter-actions dont la perception est récente.
Mondialisation et politiques nationales de défense
Le terme « mondialisation » connaît aujourd’hui une utilisation très répandue, presque excessive. Dès la fin du siècle dernier, « il s’impose comme une notion fourre-tout, expliquant les évolutions actuelles » (1). C’est dire combien il est difficile d’en donner une définition précise, acceptable par tout le monde. Nous conviendrons néanmoins que « la mondialisation peut s’analyser comme un processus de dislocation de toutes les barrières, de déréglementation, de liberté des flux, les États n’ayant pas d’autres options, tout autre contrôle dissuadant les opérateurs internationaux » (2). Sur le plan militaire, ces processus de libéralisation, de dislocation de barrières, d’interdépendance… s’accompagnent de profondes mutations, politiques et militaires, bouleversant les visions classiques de la politique de défense. Bien que les domaines du changement soient variés, cinq aspects nous semblent essentiels à explorer. Le premier concerne une certaine « dévaluation » de l’intérêt militaire pour l’espace géographique avec l’emploi généralisé des satellites. Le deuxième réside dans le fait que l’outil de défense nationale est de plus en plus assujetti à la coopération étrangère. Le troisième aspect est, quant à lui, relatif au désengagement de l’État de cet outil au profit du secteur privé. Tandis que le quatrième aspect concerne le partage des technologies « sensibles » ; la maîtrise de l’information qui devient une fin en soi, constitue, elle, le dernier point de la série.
Recul de l’intérêt de l’espace géographique au bénéfice des satellites
Sous l’effet d’une mondialisation accompagnée par la banalisation de certaines technologies de pointe, l’État est contraint à l’abandon de quelques souverainetés touchant à l’exercice même de son autorité sur le territoire. Sur le plan technologique, ce recul de l’autorité publique dans un domaine aussi symbolique pour l’existence d’un pays, s’explique par plusieurs facteurs dont l’utilisation des satellites artificiels à une grande échelle. Ces engins survolent tout point de la Terre et « espionnent » tous les pays, dans tous les domaines, en toute légalité. Ils sont aptes à recueillir et à diffuser les informations en tout temps et en tout lieu grâce à leur rotation perpétuelle autour de la Terre et à leur disponibilité sur les marchés en nombre toujours grandissant. Leur emploi à des fins militaires, comme sources de renseignement ou moyens de liaison, n’est soumis à aucune restriction juridique. Quelle qu’en soit la cible, il se fait dans une impunité totale, si l’on peut parler ainsi, sachant que dans ce genre d’applications spatiales, le droit international garantit une liberté totale d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique à chaque nation.
En conséquence, avec ces moyens « d’intrusion légalisée » et présents dans tous les cieux, le principe sacro-saint de l’inviolabilité des frontières n’a tout simplement plus de sens. Cela veut dire que l’intégrité territoriale et, au-delà de celle-ci, le contrôle de l’espace géographique de façon générale ne constituent plus les fondements de la défense. Les enjeux de la mondialisation s’en mêlent, d’autres facteurs s’y ajoutent. « La survie d’une nation ou d’un État ne se joue plus seulement dans le contrôle d’un territoire ou dans la protection des frontières mais dans la capacité à assurer des flux et des réseaux qui irriguent ses structures économiques et sociales » (3). Or, les flux et les réseaux reposent pour une large part sur les satellites. Et comme ceux-ci se jouent des frontières et des distances, ils deviennent progressivement des enjeux primordiaux pour la sécurité nationale tandis que l’intérêt stratégique de l’espace géographique diminue.
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