Défense en France - Le coût des opérations militaires extérieures
Depuis près de deux décennies, la France projette en permanence 10 000 à 12 000 de ses militaires, qui participent à des opérations extérieures souvent périlleuses, en plus de ceux prépositionnés dans des pays avec lesquels notre pays a signé des accords appropriés. Ces « Opex » ont un coût élevé, en augmentation continue et probablement sous-estimé.
De plus, se pose également la question du contrôle de la dépense. En effet, la budgétisation des opérations en Loi de finances initiale, amorcée voici cinq ans, demeure inachevée.
La réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 a renforcé l’information du Parlement ainsi que son rôle décisionnel. Elle a conduit ses représentants à se pencher sur l’aspect financier des Opex, devenues désormais un mode de fonctionnement classique des armées. C’est pourquoi la question de leur coût a été inscrite au programme de la Mission d’évaluation et de contrôle de l’Assemblée nationale, la MEC (1).
Un coût financier croissant
Entre 2006 et 2008, à effectifs déployés quasi constants, les coûts engendrés par les Opex ont augmenté de plus de 40 %. Ceci est dû, pour l’essentiel, au renchérissement du soutien logistique de nos troupes sur des théâtres désormais plus lointains, à des dépenses de munitions croissantes dans des engagements de plus en plus violents et à l’accroissement important des contributions financières versées à l’Otan et à l’Union européenne.
Le coût est lié aux dépenses de personnel (rémunérations, cotisations sociales, indemnités), mais aussi aux dépenses en matériel, difficile à évaluer et cependant bien réel en raison de l’usure prématurée d’équipements très sollicités. Il comprend, outre les contributions aux organismes internationaux pour le financement des opérations de maintien de la paix, versées par le ministère des Affaires étrangères et européennes, les coûts des opérations à la charge du ministère de la Défense.
Difficulté de calculer le coût des Opex
Une charge nettement sous-évaluée. Le ministère du Budget s’en tient à une définition très restrictive du contenu du coût des Opex : rémunérations, charges sociales, frais de fonctionnement des forces envoyées en opérations et investissements éventuels réalisés sur le terrain. Les dépenses d’équipement, considérées comme durables, en sont exclues.
Trop de coûts structurels ne sont pas pris en compte. Il s’agit en particulier des dépenses de long terme liées aux carrières des militaires (bonifications des retraites, rentes ou pensions d’invalidité, pensions versées aux veuves et ayants droit) ainsi que de l’usure prématurée des matériels rendant l’entretien plus onéreux. Enfin, la formation renforcée des personnels en partance pour l’Afghanistan engendre un surcoût évident qui n’a pas été évalué.
Une sous-budgétisation initiale chronique. Pendant longtemps, le coût estimé des Opex n’a pas été inscrit en Loi de finances initiale, car celles-ci étaient considérées comme un événement exceptionnel et imprévisible.
Le principe de cette inscription a trouvé une première application, certes symbolique, dans le budget 2003. Il a été réaffirmé à plusieurs reprises et la budgétisation complète de ces « surcoûts » constitue un principe désormais inscrit dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. Cette budgétisation s’est approchée de la réalité à un rythme très lent (4 % en 2003, 19 % en 2005, 30 % en 2006), pour plafonner à 54-55 % en 2007 et 2008 (460 millions d’euros).
Des conséquences financières lourdes. Les « surcoûts » non provisionnés ont été, jusqu’ici, le plus souvent compensés en cours d’exercice par l’annulation de crédits d’équipements (2). Cette procédure s’est montrée préjudiciable au bon déroulement des programmes d’équipement et au respect des dernières lois de programmation. Selon l’état-major des armées, ces « surcoûts » depuis 1998 représenteraient près de 3 milliards d’euros.
Complexité des opérations multilatérales. L’Onu rembourse les frais engagés par les puissances contributives, car les pays qui la composent sont très divers et les plus pauvres d’entre eux ne pourraient pas participer aux opérations de maintien de la paix sans cette aide. Les procédures varient selon les pays et les organismes. Des barèmes précis et contractualisés créent des difficultés et des inégalités. L’organisation administrative exerce des contrôles rigoureux demandant des moyens et du temps et engendrant des frictions. En outre, la procédure de remboursement est longue et complexe et toutes les dépenses ne sont pas couvertes. La logique est différente pour l’Otan et l’Union européenne qui regroupent des pays plus homogènes sur le plan économique et social et qui arrivent sur le théâtre d’opérations avec leur propre matériel. Les échanges financiers se limitent aux services rendus entre nations ou lorsqu’un État membre peut prouver qu’il apporte une capacité unique à l’ensemble.
Réduction des coûts : les pistes de réflexion. Vingt propositions visant à améliorer la connaissance du coût des Opex et à en assurer la maîtrise ont été formulées par la Mission. Elles s’ordonnent autour de six pistes de réflexion.
• Améliorer la budgétisation initiale des Opex et leur suivi. L’augmentation de la provision initiale et un recours accru à la réserve interministérielle devraient permettre de préserver les crédits d’équipement des armées. Cette provision, portée à 510 millions d’euros en 2009, a été augmentée de 60 millions d’euros en 2010, et le sera à nouveau de 60 millions d’euros en 2011. Ce niveau d’engagement devrait ensuite être maintenu jusqu’en 2014.
• Standardiser et bâtir en « dur » le plus tôt possible. Sauf cas très particuliers, les Opex doivent s’engager dans la longue durée. Les armées ont donc intérêt à bâtir, aussitôt que possible, des installations pérennes dans des schémas standardisés qui, outre les avantages sécuritaires procurés, feront réaliser, des économies substantielles en matière d’infrastructure.
• Établir des relations plus « réalistes » avec nos partenaires. Il convient, à cet effet, de facturer les prestations rendues aux armées alliées selon les mêmes méthodes de calcul que celles qu’elles utilisent pour facturer à nos forces les prestations équivalentes, en prenant en compte la notion de coût global et non de coût marginal.
• Substituer, lorsque cela est plus économique, l’achat à la location (notamment pour les véhicules).
• Concernant la piraterie, impliquer les assureurs. Toute intervention militaire aboutissant à la récupération d’un navire, en particulier commercial, mis en difficulté par un acte de piraterie, devrait pouvoir faire l’objet d’une facturation adressée au propriétaire ou à son assureur.
• Utilisation du matériel pris à l’adversaire. Les armées doivent pouvoir réutiliser pour leur propre compte le matériel saisi en opération (en particulier les embarcations rapides saisies lors d’arrestations de narcotrafiquants). La législation en vigueur sera modifiée si cela est nécessaire.
L’externalisation, source d’économie ?
L’externalisation ne constituera certes pas une solution miraculeuse pour réduire le coût des Opex et comporte, par ailleurs, certains inconvénients. Elle mérite néanmoins d’être examinée. Il est donc proposé de créer une mission d’évaluation et de contrôle sur le coût et les bénéfices attendus de l’externalisation au sein du ministère de la Défense.
Plus de transparence et optimisation des moyens
L’intervention de la MEC a principalement été motivée par une exigence de contrôle démocratique sur un poste majeur de dépenses de l’État. Sa démarche a été inspirée par la recherche de l’efficacité : les Opex doivent être menées au meilleur coût, et non au moindre coût. ♦
(1) Mission d’information (Louis Giscard d’Estaing et Françoise Olivier-Coupeau), Rapport d’information 1790.
(2) Crédits parfois partiellement restaurés par la Loi de finances rectificative de fin d’exercice.