2010 sera l’année de la Russie en France, comme celle de la France en Russie. Elle nous vaudra certainement une floraison de nouveaux livres sur ce grand pays, avec lequel nous entretenons des relations de plus en plus étroites. Ce d’autant plus que nous serons au milieu du mandat de l’actuel président russe, Dimitri Medvedev. Pour le moment pourtant les ouvrages de nature politique ou géopolitique restent rares. Les réalités qu’il convient de scruter sous tous leurs aspects semblent perçues à travers le prisme de l’histoire, de la culture, de la société, de ses rapports avec l’étranger proche ou avec l’Europe, qui demeurent la grande question d’aujourd’hui et de demain.
La Russie parmi les livres
Recent books on Russia
2010 will be the year of Russia in France, and of France in Russia. It will certainly merit an outburst of new books on this great country, with which we are nurturing ever-closer relations, all the more so as we are half way through the term of the current Russian President, Dmitry Medvedev. For the moment, however, political or geopolitical works remain scarce. The realities we need to examine closely seem to be refracted through the prism of history, culture, society and Russia’s relations with the ‘near abroad’ and Europe, which remain the big questions for today and tomorrow.
Sergueï Kostine et Éric Raynaud, avec Adieu Farewell, relatent la plus remarquable histoire d’espionnage de la seconde moitié du XXe siècle. Paru en 1997, cet ouvrage a été réédité à l’occasion de la sortie du film d’Emir Kusturica, qui s’en est largement inspiré. On sait que l’existence de cette « taupe », au sein de l’état-major du KGB, fut révélée par François Mitterrand à Ronald Reagan, ce qui contribua notamment à réduire les préventions du président américain à l’égard de la présence des quatre ministres communistes au sein du gouvernement français. Destin singulier que celui de Vladimir Vetrov, qui avait apparemment tout pour réussir. Étudiant brillant dans une école technique de pointe, grand sportif, père et mari modèle, il fit d’excellents débuts opérationnels au KGB. Quinze ans plus tard c’est le début de sa conversion. Sentant sa carrière finie et sa famille brisée, par haine de son service et du régime communiste, il prend contact avec la DST par l’intermédiaire d’un ingénieur français dont l’identité vient d’être révélée. En moins d’un an, il livra à l’Ouest l’ensemble de l’espionnage scientifique et technique soviétique. L’histoire d’Adieu Farewell, véritable roman, montre bien comment la grande politique se mêle aux petits déboires de l’existence, espionnage et idéologie, courage et vilenie, amour et haine, calcul et folie, crimes et châtiment. Version revue et augmentée, de Bonjour Farewell, ce livre a bénéficié d’un vaste complément d’enquête effectué en France, en Russie et aux États-Unis.
Guerre froide
La guerre froide ne fut pas seulement l’affrontement diplomatico-militaire entre deux camps et au premier chef entre Washington et Moscou. Elle comporta également des aspects culturels et de propagande, lesquels ont été insuffisamment explorés, surtout du côté soviétique. Voilà pourquoi l’ouvrage Par-delà le Mur d’Andreï Kozovoï, maître de conférences à l’université de Lille 3, ouvre des perspectives intéressantes. Il y examine avec minutie la période 1975-1985, entre la détente Brejnev-Nixon des printemps 1973 à 1975, et celle ouverte par Mikhaël Gorbatchev après mars 1985. Sous les grands moments et périodes politico- diplomatiques, il scrute l’image de l’Amérique dans les yeux soviétiques, la représentation que l’on se faisait ou que l’on voulait projeter de l’ennemi. Pourtant, malgré les préventions officielles et la propagande, la culture américaine est parvenue à s’insinuer dans les différentes strates de la population. Les œuvres traduites de l’américain constituaient 10 % de toute la littérature destinée aux jeunes et 12 % de celle destinée aux adultes. Ce qui ressort essentiellement de cette étude minutieuse est que l’antiaméricanisme, bien que constituant le socle de l’idéologie officielle, ne fût jamais ouvertement proclamé tel quel, sauf pendant les périodes de crises aiguës. Il a d’ailleurs fluctué et ne s’est pas diffusé uniformément dans toutes les couches de la société soviétique qui a commencé à se diversifier et à s’émanciper des slogans officiels. Pourtant, durant cette période, les Soviétiques se retrouvent plus dans la terreur stalinienne et pas encore dans l’épisode gorbatchévien de la parole libérée. Cette époque est particulièrement intéressante, car elle fut celle au cours de laquelle la société soviétique commença à se transformer, préparant ainsi toutes les évolutions postérieures qui culminèrent avec les événements de 1989, sur lesquels on a tant écrit, puis la chute de l’URSS.
L’âme slave
Comment sonder les profondeurs de l’âme russe sans passer par le chemin de la littérature, qui est restée l’une des expressions les plus achevées de la Russie principalement durant son siècle d’argent, de Pouchkine à Tchékhov ? En un saisissant raccourci, un critique contemporain, Georges Haladas, s’interroge sur son destin. Quel message, nous autres Russes, pouvons apporter à la famille humaine ? Il est heureux que les préfaces de Georges Haladas, né à Genève, en 1917, de père grec et de mère suisse aient été rééditées, car La Russie à travers les livres est un magnifique outil de compréhension de la culture et partant, de l’histoire russe. Ainsi en quelques pages, le lecteur fera connaissance avec les grandes figures de la littérature russe et de leurs œuvres principales. De la révolte avortée des décabristes de 1825 à la guerre perdue avec le Japon en 1905 et la première révolution russe, c’est à ce bouillonnement social, intellectuel et politique que l’on assiste, aux travers des romans ou des pièces de théâtre mémorables. Les remarques d’ordre politique ne sont jamais absentes. On est étonné de lire qu’un auteur aussi avisé que Tchékhov, auquel il consacre de longues pages, ait écrit en 1888 : « Il n’y aura jamais de révolution en Russie ». Les thèmes préférés des auteurs russes, Dostoïevski en premier lieu, ne sont-ils par essence philosophiques, politiques : pouvoir, armée, argent, justice humaine, enseignement… Comment ne pas souligner aussi que des hommes que l’on classe comme des philosophes ou des penseurs politiques comme Alexandre Herzen, le « Jaurès russe » aient été également des hommes de lettres. De Herzen, le titre La Russie et l’Occident permet de voir comment un occidentaliste concevait le développement de la Russie et les obstacles qui s’y opposaient. Et que dire de Pierre Tchaadaïev, ressortissant de cette noblesse qui fit partie de la campagne victorieuse d’Alexandre Ier, qui, dans sa première et célèbre Lettre philosophique écrite en français, a dénoncé l’immobilisme de la nation russe et de sa culture. Dans ce texte percutant et bref, il va poser les questions fondamentales auxquelles la Russie mettra près d’un siècle à répondre.
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