Commission de la Défense nationale et des Forces armées - Les drones
Le rapport d’information des députés Yves Vandewalle et Jean-Claude Viollet sur les drones a été remis le 1er décembre 2009. Ce rapport, sans équivalent, rappelle que le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale a placé la fonction « connaissance et anticipation » au premier rang des priorités stratégiques. De ce fait, face à la diversité des risques et des menaces pesant sur la sécurité de la France, les autorités politiques et militaires ont besoin de disposer, en amont comme en temps réel au cours des opérations, des informations les plus précises possibles pour être en mesure de faire, à tout moment, les meilleurs choix. C’est dans ce contexte que le Livre blanc préconise, dans le domaine aérien, de concentrer les efforts sur les drones.
Les rapporteurs distinguent trois types de drones, correspondant aux fonctions renseignement, attaque et transport. Ils démontrent que cet outil modifie radicalement la façon dont nos armées peuvent conduire des opérations complexes, mais aussi la façon dont elles les conçoivent et les préparent. L’intégration des drones dans nos armées constitue donc un enjeu crucial, qui porte tant sur le plan de l’organisation du renseignement que de la doctrine et de la tactique.
Du fait de ses engagements en opérations extérieures, les capacités de la France doivent être renforcées, à court comme à moyen terme. Cependant, le décideur politique est confronté à des arbitrages financiers difficiles, compte tenu du coût de ce type de programme et de la nécessité de ne pas menacer les autres programmes d’équipements qui contribuent à la même fonction.
Les coûts d’utilisation sont très variables : pour les drones Male (pour Medium altitude and long endurance) français (Harfang), l’heure de vol revient à environ 12 000 €. Ce coût vient en grande partie d’effets d’échelle ; à titre de comparaison, l’heure de vol des Predator B américains est estimée à 3 600 $. À l’opposé, le drone FR 102 de la PME alsacienne Flying Robots présente un coût horaire de vol inférieur à 200 €.
Les drones s’insèrent dans un système global de renseignement, aux côtés des Awacs ou encore du renseignement humain, grâce au fait qu’ils permettent la diffusion d’informations en temps réel, ce qui soulève des enjeux industriels non négligeables, notamment en termes d’interopérabilité.
Outre les États-Unis et Israël, dont l’avance technologique est notable, on observe que plusieurs pays européens ont des ambitions comparables à celles de la France. Le Royaume-Uni développe actuellement un démonstrateur Male Mantis, l’Allemagne dispose de drones tactiques et nourrit un grand intérêt pour les autres segments, l’Italie est un acteur majeur, qui s’intéresse aux drones de combat et au segment Male.
La France dispose aujourd’hui de trois types de matériel. Le système SIDM-Harfang, composé d’une station-sol et de trois vecteurs, présente un potentiel intéressant et a été déployé en janvier 2009 en Afghanistan. En ce qui concerne le segment tactique, la France dispose de deux systèmes SDTI, dont un est déployé en Afghanistan sur la base avancée de Tora. Ce parc a récemment été renforcé par l’acquisition de six vecteurs canadiens d’occasion. Sur le segment des minidrones, la France dispose de 25 Drac, dont la cible initiale d’acquisition de 160 systèmes, a été ramenée à 110 en programmation.
Le SDTI est particulièrement utile et apprécié. Les deux tiers de ses missions sont de l’appui aux troupes au sol, l’autre tiers étant consacré au renseignement. L’installation des dispositifs de transmission de données RVT-ERS devrait être un progrès. Les rapporteurs soulignent à juste titre que la flotte de SIDM-Harfang et de SDTI court aujourd’hui un risque de rupture, certes atténué par les récents achats de drones tactiques. Ils appellent à un effort visant à compléter ces parcs, en tenant compte de l’enjeu industriel global, puisqu’on estime qu’en dehors des États-Unis, le marché des drones représentera de 8 à 10 Md€ au cours des dix prochaines années, et le double si l’on inclut les États-Unis.
Pour la France, la question cruciale est celle de la rupture capacitaire, qui interviendra avant 2014, même si elle est difficile à déterminer dans le temps avec une grande précision. Les moyens prévus par la Loi de programmation militaire ne permettront pas de satisfaire tous les besoins : sur la période 2009-2014, 280 M€ de crédits de paiement sont ainsi inscrits, répartis en 141 M€ pour le segment tactique et 139 pour les Male. Les rapporteurs considèrent que les décisions nécessaires doivent intervenir rapidement, au premier semestre 2010. Le problème se pose surtout pour le segment Male qui est le plus dimensionnant sur les plans militaires et industriels. La question préalable d’un éventuel complément du parc de SIDM-Harfang est difficile à traiter, du fait des relations entre les cotraitants et des contraintes du code des marchés publics. L’ancienneté du système suggère de plus de se concentrer sur la préparation des nouvelles générations de drones.
Trois grandes solutions européennes sont envisageables. L’Advanced UAV-Talarion d’EADS, projet né à la suite de l’échec de l’EuroMale, semble particulièrement performant. Toutefois, ce programme est très coûteux, de l’ordre de 2,9 Md€ (financés à parts égales par l’Allemagne, l’Espagne et la France), dont 1,4 pour le seul développement et par ailleurs, compte tenu des besoins du développement, une mise en service ne peut être espérée qu’en 2018 voire 2020. Le projet de système de drones Male (SDM) présenté par Dassault Aviation et Thales, sur la base d’un Heron TP israélien est un programme de 700 M€, pouvant être mené à bien en quatre années, avec la crédibilité que lui donne le fait que cette plateforme est déjà en service en Israël. Enfin, le projet Mantis, conduit par BAE Systems, pour lequel le Royaume-Uni a proposé une coopération bilatérale, engageant Dassault et Thales.
Sur le segment tactique, les rapporteurs soulignent l’intérêt des drones à voilure tournante, qui, seuls peuvent répondre aux besoins de la Marine (ils sont également intéressants pour l’Armée de terre, de manière relative compte tenu de leur coût de possession élevé). S’agissant des minidrones, les rapporteurs considèrent qu’il faut laisser les opérationnels guider les achats en fonction des besoins. Le drone de combat suscite d’autant plus d’intérêt que les États-Unis ont déjà fait voler un démonstrateur, tandis qu’en Europe, le Neuron pourrait voler dès 2010.
Le rapport aborde également la nécessité d’une approche interministérielle, à l’exemple des États-Unis, où les drones sont utilisés à des fins civiles (renseignement, lutte contre la criminalité, ce qui se fait également au Brésil, surveillance maritime, surveillance de la frontière avec la Mexique).
En France, certaines administrations nourrissent également un grand intérêt pour cette technologie. La police a développé un démonstrateur, les douanes conduisent une réflexion depuis près de dix ans. La sécurité civile est elle aussi intéressée. Le rapport rappelle aussi les problèmes techniques à résoudre pour l’insertion des drones dans l’espace aérien civil, du fait que le droit actuel s’applique aux drones avec les mêmes exigences qu’aux avions, à savoir que le pilote puisse changer immédiatement le cours de l’appareil dès l’appel du contrôle.
Enfin, les rapporteurs préconisent de repréciser le besoin militaire dans une démarche interarmées, suivie d’un tour de table interministériel avant de rencontrer les industriels pour déterminer comment établir les meilleures coopérations possibles au niveau national, européen, voire au-delà. De ce point de vue, l’État a le devoir de s’interdire tout saupoudrage des crédits de recherche chez tous les industriels, afin d’éviter l’effet de doublon. ♦