Lettre ouverte aux islamistes
Lettre ouverte aux islamistes
Ghaleb Bencheikh et Antoine Sfeir nous proposent avec cette Lettre ouverte aux islamistes une réponse à tous ceux qui prônent l’idéologisation de la religion islamique à d’autres fins que spirituelles, notamment politiciennes. Mais cet ouvrage s’adresse également à tous ceux qui, par manque d’information ou par facilité intellectuelle, confondent encore trop souvent islam et islamisme, dans une lecture simpliste de phénomènes pourtant multiples et complexes.
Les auteurs reviennent dans une première partie sur la genèse de la religion islamique et les premières traces d’islamisme, avant de proposer dans un second temps leurs arguments pouvant servir de « réponses aux islamistes ».
Ils décrivent ainsi l’Arabie de Muhammad à la fin du VIIe siècle, divisée politiquement et militairement entre les empires perse et byzantin, et fonctionnant avec une structure sociale à la fois clanique et familiale. Les auteurs nous racontent l’histoire de Muhammad, sa jeunesse dans la pauvreté, ses révélations successives mais aussi les rivalités qui accompagnent la naissance de l’islam. Les rivalités entre fidèles s’accentuant, en effet, après la mort du Prophète, l’on comprend dans quel contexte de lutte pour le pouvoir intervient la rupture entre nouveaux chiites (« partisan de », en l’occurrence d’Ali) et sunnites, restés fidèles à la Sunna (la tradition). Ainsi le chiisme s’est constitué après la révolte et le martyre d’Hussein (fils d’Ali) en 680 en cherchant à se démarquer dès le début, du courant majoritaire sunnite. D’abord concernant la prêtrise : tandis que les sunnites considèrent que la relation directe entre le croyant et son créateur ne nécessite pas de médiateur directeur de conscience, au contraire les chiites mettent en place un clergé fortement hiérarchisé, non pas sacerdotal, mais plutôt de nature « académique ».
Cet effort d’interprétation est ainsi un devoir pour tout musulman, chacun délivre sa version et c’est en cela que l’on assiste au cours des siècles à un foisonnement d’écoles juridiques d’interprétation. Celle des hanbalites, dont la doctrine se rapproche des actuels salafistes (dont se réclament des groupes extrémistes ou terroristes), privilégie la lettre par rapport à l’esprit du texte. Or les auteurs affirment que c’est bien la visée qui doit être recherchée, et non pas le « littéralisme desséchant » de telle ou telle norme. Ils nous expliquent ainsi comment seulement à peu près 200 versets du Coran (1/30e) contiennent « de l’explicite et de l’implicite, de l’abrogeant et de l’abrogé ». Mais s’ils contiennent de l’informatif et du normatif, c’est de loin l’informatif qui est le plus important. La codification reste donc bel et bien une affaire humaine : la Charia – loi au sens de « balisage du comportement des hommes » – ne peut ainsi être la loi d’un Dieu monolithique, tout simplement parce que la seule légitimité d’une interprétation est le triomphe de ses auteurs sur leurs contradicteurs. Ce serait donc une affaire définitivement humaine !
L’islamisme (que les auteurs définissent comme « la domestication, la manipulation et l’instrumentalisation des fondements religieux de l’islam pour gérer les affaires de la cité dans les champs social, religieux, administratif, économique et politique ») aurait ainsi pris en otage la tradition islamique parce que l’on ne sait plus, de nos jours, ce que signifie le vocable islam. Ce dernier serait progressivement devenu un mot-valise contenant tout et son contraire. Il y aurait donc une collusion évidente entre politique et religieux dans la vision islamiste, tandis que dans l’esprit du grand public il y a forcément un amalgame entre islam et islamisme… En face, ces groupes islamistes travaillent leur image populaire par des actions sociales importantes contre l’extrême pauvreté, et pointent du doigt des régimes monarcho-autoritaires.
Ghaleb Bencheikh et Antoine Sfeir concluent ce remarquable ouvrage par une série d’argumentations contre les prises de positions islamistes, notamment l’incompatibilité présumée entre islam et laïcité et les traitements imposés aux « infidèles » et aux femmes.
La laïcité est selon eux une neutralité, et par définition le neutre est équidistant et n’a pas à être compatible ou incompatible. L’islam offre, également, selon les auteurs un excellent cadre pour la laïcité, essentiellement de par l’absence de médiateur entre le croyant et son créateur : c’est un engagement librement consenti, une adhésion intime et spontanée. Certes, il n’y a pas l’équivalent dans le Coran du denier de César ; mais l’omission de la question doit être vue selon eux comme une délégation faite aux hommes par leur Dieu omnipotent de régler ici-bas leurs affaires comme ils l’entendent.
Concernant enfin la condition féminine, ce qui se passe est-il vraiment inhérent et propre à l’islam, ou plutôt au machisme, au sexisme, à la phallocratie voire à la misogynie des hommes ? Cela est une affaire avant tout humaine et non pas confessionnelle ou culturelle, qui nécessite en premier lieu de civiliser et d’éduquer tous les hommes et femmes.