Centres d'enseignement supérieur de la Marine - Les voies maritimes du transport de l'énergie et leur sécurisation
Les tensions grandissantes sur le marché énergétique mondial conditionnent les politiques économique et sécuritaire des États exportateurs et importateurs d’hydrocarbures. Au rythme de consommation actuel, on estime respectivement, à soixante-trois et quarante années, de ressources exploitables les réserves mondiales de gaz et de pétrole. La dépendance des économies occidentales notamment, et de la France en particulier, est telle que ces hydrocarbures sont passés du statut de simples ressources à celui de ressources stratégiques, contrôlées, réglementées et régulées par chaque État.
Il est intéressant de noter que les États membres de l’Union européenne refusent obstinément de transférer à l’UE leur compétence sur ces produits « hautement stratégiques ». Par ailleurs, l’énergie devient une cible à part entière pour les mouvements terroristes (Al-Qaïda) comme pour les groupes pirates. Ainsi, les nations se trouvent-elles confrontées à une réalité paradoxale : le marché de l’énergie qui s’est mondialisé grâce à des acteurs privés (compagnies pétrolières et gazières), mais qui reste sous contrôle de l’État, doit assurer le flux d’approvisionnement en luttant contre des menaces asymétriques comme étatiques.
Dès lors, la sécurisation du transport énergétique s’entend comme un nouveau rapport de force entre États dans un contexte de menaces diffuses et non étatiques. Les stratégies imaginées pour se prémunir des actions des groupes terroristes et des organisations pirates doivent-elles rester l’apanage des États ? L’offre de sécurisation se diversifie aujourd’hui avec l’apparition de sociétés privées de sécurité. Est-ce le signe d’un effacement de la puissance régalienne ou un facteur extérieur de transformation et d’adaptation nécessaire des systèmes de défense classiques ?
Dans ce contexte, le transit maritime des énergies apparaît comme la meilleure réponse tant aux défis économiques qu’aux défis sécuritaires. L’État, mis en concurrence par le jeu des acteurs privés, conserve toutefois sa place de régulateur prépondérant dans une logique de continuité des flux d’approvisionnements.
Le transit maritime des hydrocarbures est d’abord un facteur de sécurité économique. En diversifiant les lieux d’approvisionnements, la voie maritime permet de mettre en concurrence les différents États exportateurs et d’éviter une dépendance trop forte. Les deux crises du gaz russo-ukrainiennes des hivers 2006 et 2008 ont durement rappelé les risques d’une telle situation. Pour autant, les pays du Moyen-Orient dominent aujourd’hui le marché du pétrole, et domineront celui du gaz à partir de 2015. Leur position géographique leur permettra d’approvisionner à la fois les bassins atlantique et asiatique. Dès lors, l’interdépendance des prix obligera les États à adapter leurs stratégies d’influence énergétique. Dans ce contexte, la France cherche à se positionner en tant que point d’acheminement final du gaz liquéfié, en équipant ses trois façades maritimes de terminaux méthaniers : il s’agit d’améliorer la sécurité énergétique du pays en créant un complément indispensable à la fourniture gazière terrestre, tout en dotant le pays des outils nécessaires à la diversification de ses importations.
Par ailleurs, le transport maritime présente de véritables avantages pour la sécurisation économique des flux d’approvisionnements. En effet, les contrats d’acheminement maritimes, généralement de courte durée, permettent une grande flexibilité et une excellente réactivité des transporteurs. Ils ne présentent donc pas les mêmes rigidités que les contrats de transits par gazoducs ou oléoducs, obligatoirement conclus sur le long terme.
Le transit maritime est également un facteur clef de la sécurisation des échanges contre les menaces notamment asymétriques (piraterie ou terrorisme), mais également plus « classiques ». Le transport maritime permet aux flux énergétiques de s’affranchir de ce type d’entraves puisque les voies maritimes ne sont pas figées et peuvent contourner les tensions.
Pour autant, il ne faut pas occulter les menaces qui existent aussi en mer, notamment dans les passages resserrés tel le détroit d’Ormuz que l’Iran menace de fermer en cas d’actes hostiles ou de guerre économique. Les ressources stratégiques sont l’origine et la justification de la piraterie dans le golfe de Guinée. Le Nord-Est du golfe de Guinée, spécifiquement la zone du détroit du Niger est le théâtre d’une insécurité maritime qui s’est accrue depuis 2005-2006. En revanche, dans le golfe d’Aden où transite 15 % du pétrole mondial, l’attaque de convois énergétiques est récente et occasionnelle, dans un contexte de hausse inquiétante de la piraterie maritime.
On peut certes considérer que les actes de piraterie ne constituent pas une menace globale et stratégique et ne sont que le reflet et la conséquence de la déliquescence des États dont ils proviennent. L’avertissement que constitue la capture de superpétroliers dans la zone (Sirius Star) doit toutefois être analysé comme une professionnalisation des techniques d’assaut, professionnalisation dont il faut tenir compte pour combattre efficacement ces activités. Les mouvements terroristes internationaux ont, quant à eux, pris conscience de l’impact stratégique que représentent les cibles énergétiques. Ils peuvent donc utiliser la vulnérabilité naturelle du transport maritime : faible vitesse du navire, multiplication de passages resserrés sur les voies maritimes et réglementation internationale. Al-Qaïda aurait d’ailleurs mis sur pied une section « Jihad maritime ».
La géo-économie a largement supplanté le rapport de force entre les États : les interdépendances énergétiques sont maintenant une des clés des relations interétatiques. Par conséquent, les États œuvrent pour la sécurisation des mers en se positionnant localement afin d’opposer, si besoin est, aux auteurs de menaces une réponse forte. Les systèmes d’alliance ont un rôle à jouer dans ce développement sécuritaire, par le biais de coopérations régionales ou par le truchement d’organisations internationales. Ainsi, depuis 2008, l’Union européenne a lancé une vaste opération de sécurisation du golfe d’Aden (l’opération Atalante). Par ailleurs, sous l’égide de l’ONU, la réflexion juridique avance afin de consolider ces nouvelles initiatives dans la légalité internationale.
Les opérateurs français, par la voix d’Armateurs de France, se disent satisfaits de l’offre de sécurisation de la Marine nationale, même si certaines sociétés de sécurité privée cherchent à se positionner sur le marché de la sûreté dérogeant ainsi à la compétence souveraine de l’État. Si la France ne semble pas encore prête à approuver ce type de sociétés, d’autres nations y ont recours. Le débat n’est donc pas clos, car il faut notamment évaluer le risque de voir, à terme, ce marché dominé par des opérateurs étrangers. ♦