Le capitalisme contre le monde
Le capitalisme contre le monde
Dans un désordre sympathique que légitiment la passion et l’engagement, Émile H. Malet brosse le portrait au vitriol d’un capitalisme sans morale, d’une sphère politique qui se délite et d’une mondialisation égoïste oublieuse de l’homme. Pour l’auteur, le salut, nécessaire et urgent, ne peut venir que de la réhabilitation du discours politique, de l’ouverture à l’autre dans le multilatéralisme et la progression considérable des mobilités.
L’efficience du capitalisme n’est plus à prouver. Le monde regorge de biens et de services et les flux financiers atteignent des records incommensurables. Mais l’économie politique, à la recherche d’un partage harmonieux entre efficience et progrès social ne dispose plus de la « main invisible » de Smith. Incapable de mener à bien les corrections au marché, elle est devenue la main parasite de la mondialisation. Il y a un décalage objectif entre le savoir-faire ingénieux du capitalisme et l’inaccomplissement social de l’homo économicus. La fin de l’économie politique laisse la place à une mondialisation sans gouvernement, un monde sans qualités. Une économie vidée de sa sève sociale et créatrice fragilise le capitalisme et la politique en hypothéquant l’avenir des nouvelles générations.
L’autorité politique s’est délitée. Le bluff politique a désormais pour vocation de divertir. Les gens vont donc chercher la vérité ailleurs. Le malaise français date de la fin des « trente glorieuses ». Les élites françaises culpabilisent pour éviter de réformer. L’esprit rentier de la chose acquise l’emporterait en France sur l’initiative et l’innovation. Seule l’autorité politique permettrait l’action. Elle reste à reconquérir à la place de l’hubris (excès de compassion) qui l’emporte sur la sagacité et donne dans le nombrilisme médiatique. Les politiques sont scotchés à leur image télévisuelle conduite par des animateurs télé qui se vengent de leur inculture en insufflant à la politique des germes d’insalubrité intellectuelle. La médiatisation ludique du politique est le signe de l’ignorance de la dimension tragique de l’histoire.
Réhabiliter le discours politique à l’âge de l’Internet et de la mondialisation requiert une injonction de vérité, de culture, de responsabilité et d’ouverture sur l’autre de la part des acteurs. Face à des catastrophes naturelles, sanitaires ou technologiques (nanoparticules), la logique du marché doit être subordonnée à une éthique de solidarité : un code, une morale.
À mesure que la croissance et la consommation sont stimulées sans limites et sans fins par la mondialisation, le nuage écologique élargit son empreinte à la surface de la Terre. Il draine des pollutions sans limites et sans fins, le tout économique l’emportant sur le socle socioculturel. L’homme sans qualité, capitaliste de la richesse individuelle illimitée est devenu un prédateur qui ne se satisfait de rien parce qu’il peut tout consommer. La surconsommation se substitue à la paupérisation culturelle et spirituelle. Accompagnée de la surcapacité productive, elle accroît les désordres et la puissance humaine de destruction sans pour autant supprimer la pauvreté. En uniformisant les modes de vie, la mondialisation a feint d’ignorer les caractéristiques culturelles propres à chaque génération et aux différents territoires.
La crise de la société de consommation est inhérente à la mondialisation régnante des égoïsmes : une diffusion sans entraves et sans limites des biens, des services, des sentiments, des croyances et des sensations. Cette machine infernale du développement ne nous permet plus de créer. User de l’Internet ne dispense pas de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, la pornographie ne saurait se substituer à la sexualité, la corruption n’a jamais engendré la vertu du commerce et on n’habite pas les réseaux.
L’égoïsme des nations est peu propice au développement durable, lequel est le risque mutualisé, la communauté des responsabilités, l’aide au développement et la prospérité en partage. Le développement durable n’est porteur d’aucune solution miracle, c’est la relation à l’autre qui lui donne sa valeur et ouvre des perspectives d’action en permettant aux exclus de s’inviter à la table des pays développés. Le pari d’universel est de tout temps. Les grandes religions, les grandes civilisations, mais aussi les empires et les « grands hommes » se sont employés dans l’exercice du pouvoir à proposer un destin à l’humanité, un projet à l’homme, une conversion au divin. Il nous reste de ce mouvement de civilisation quelques bribes d’esprit des lois, de codes sociaux, de témoignages philosophiques et des représentations artistiques. La mondialisation a toujours été, est et sera. Dans son contexte de globalisation permanente, comment repérer quelques traits singuliers, des valeurs, qui pourraient rendre la mondialisation plus intelligente et plus civilisée. Cette unité des valeurs, socle d’une universalité partagée, n’est pas l’unicité qui met en fusion les valeurs pour mieux s’en émanciper (supercapitalisme), ossifier la société (fondamentalisme) ou déclencher la compassion des foules (altermondialisme).
C’est le multilatéralisme qui doit être le langage de la mondialisation. Pour qu’il ne reste pas un voeu pieu il faut reformer les grandes structures institutionnelles héritées de Bretton Woods à commencer par l’ONU qui doit rehausser sa vocation universelle comme boussole des libertés à protéger et à promouvoir dans le monde. Le multilatéralisme est un combat quotidien qui s’articule sur des valeurs politiques et philosophiques et des pratiques libérales affranchies de toute xénophobie. Allié à cette culture plurielle cosmopolite naguère constitutive de la Mitteleuropa irriguée par les Lumières, la Renaissance, les Révolutions et la Monarchie. L’unilatéralisme américain et son oxymore démocratique sont à ranger parmi les échecs patents d’une mondialisation égoïste et d’un monde sans qualité. C’est en renversant conceptuellement la donne géostratégique qu’une Amérique du multilatéralisme renouera avec le leadership perdu.
L’Islam, en pleine renationalisation agressive, devra intégrer le concert des nations sans poser d’exclusif criminel ni le mettre en danger par la prolifération nucléaire et le terrorisme international. Mais son conflit avec les Juifs doit trouver une solution par un syncrétisme avec la laïcité, pour que « chacun vive chez soi ».
Le siècle des mobilités est en marche et rien ne semble devoir stopper son élan parce que les États-Unis disposent d’une avance technologique considérable sur le reste du monde, parce que la croissance des pays émergents ne saurait être réfrénée sous peine de transformer l’Asie en poudrière, parce que l’attractivité démographique des pays du Nord demeurera irrésistible auprès des populations (le prolétariat et l’élite) des pays en voie de développement. Les mobilités sont un outil pour transcender les inerties sociales, culturelles ou religieuses. Mais pour qu’elles durent, elles ne doivent léser ni l’harmonie sociale ni la diversité culturelle.
L’air du temps est à l’affranchissement de toutes les contraintes pour s’offrir une consommation à sa guise. Mais la réalité d’un monde imprévisible a refait surface par le truchement de ses violences sociales, la rareté de ressources déjà limitées et une asphyxie de l’environnement. Notre mode de vie n’est pas durable, il n’est pas infiniment extensible ni dans le temps ni dans l’espace. Il faut renouer avec une qualité du monde de l’avenir qui ne mette pas sa vie en péril. Mais pour y parvenir, il va falloir surmonter quelques contradictions qui ne semblent pas avoir perturbé particulièrement notre auteur.