CICDE - Le concept d'emploi des forces
L’évolution de l’environnement international a nécessité la définition d’une nouvelle stratégie de sécurité pour la France, à laquelle concourt, parmi d’autres politiques publiques, la politique de défense. Parer aux risques et aux menaces susceptibles de porter atteinte à la vie de la nation (1), tel est l’objet de cette stratégie développée dans le Livre blanc de 2008.
Directement issu de ce document majeur, le nouveau concept d’emploi des forces (2) (CEF) présente le volet militaire de cette stratégie de sécurité nationale. Il définit en premier lieu le cadre politique et stratégique dans lequel les forces armées sont appelées à opérer. Il détermine notamment les éléments constitutifs de la stratégie générale militaire. Il présente ensuite les conditions de l’action militaire, fortement influencée par des processus externes aux armées, et précise dans ce cadre les fondements et les principes qui conditionnent sa réussite. Il caractérise enfin la nature des engagements à préparer et les aptitudes requises.
Un cadre d’emploi élargi associant défense et sécurité
Le cadre politique et stratégique dans lequel les forces armées sont engagées actuellement est marqué par trois inflexions majeures :
- l’impact de la mondialisation sur les risques et les menaces. Les sociétés occidentales perçoivent le monde de façon plus complexe et imprévisible, tout en conjuguant une exigence élevée en matière de sécurité et une résilience insuffisante.
- les priorités d’emploi des forces armées autour du territoire national, de l’Europe et de ses approches, et de l’arc de crise qui s’étend de l’océan Atlantique à l’océan Indien.
- la prééminence de l’action multilatérale ou en coalition et l’importance d’une approche globale dans la gestion des crises. À cet égard, la France a choisi de reprendre toute sa place militaire au sein de l’Otan. Cette évolution majeure doit s’effectuer dans le cadre d’une complémentarité avec l’UE dont la valeur ajoutée réside dans sa capacité à mobiliser la gamme complète des instruments de gestion de crise.
Dans ce cadre, la stratégie générale militaire concourt à la stratégie de sécurité nationale pensée de façon globale et repose sur trois piliers que sont l’autonomie d’appréciation de situation et de décision, la dissuasion nucléaire et le choix de rester une puissance militaire de plein exercice.
Le « triangle stratégique », correspondant aux trois missions majeures, illustre ce choix : assurer la protection des concitoyens et des intérêts nationaux contre les menaces et les risques effectifs et immédiats ; contribuer à la stabilité internationale en agissant sur les foyers de crise et en prévenant leur embrasement ; faire face à une aggravation brutale de la situation internationale.
Ces missions exigent de pouvoir s’engager, en tous lieux et en tout temps, sur l’ensemble du spectre des opérations. Les cinq fonctions stratégiques retenues par le Livre blanc expriment la nécessité d’appuyer cette ambition sur des capacités militaires crédibles.
Une action militaire spécifique et évolutive
Le CEF réaffirme le sens de l’action militaire, en tant qu’expression de la force légitime de l’État, dans un contexte opérationnel complexe et instable qui nécessite le respect de certains fondements et principes.
La complexité de l’action militaire tient au caractère évolutif des opérations actuelles, comme la durée, la dispersion, la diversité et le durcissement. Ces contraintes se trouvent accentuées par l’influence croissante de phénomènes sociologiques majeurs, interdépendants et étroitement liés à la mondialisation, que sont l’omniprésence de la technologie, la forte pression des médias, la résonance politique que peut avoir une simple action au niveau tactique, l’emprise du droit et enfin le développement du fait urbain qui contraint les forces armées à s’engager au milieu des populations.
Parallèlement, de nouveaux champs d’affrontement émergent qui produisent de nouveaux enjeux de sécurité. L’espace, le cyberespace et le champ des perceptions élargissent considérablement les capacités que doivent détenir les armées ainsi que le type d’action qu’elles peuvent mener, dans les champs matériels comme immatériels.
En conséquence, l’action militaire repose sur des fondements et des principes qui, sans être totalement nouveaux, nécessitent d’être accordés à ce contexte opérationnel. La légitimité, étayée par la légalité, l’éthique militaire et le soutien de la population, le maintien de la cohérence des buts, garantie de l’unité de pensée et d’action, et la réversibilité pour préserver la liberté d’action du pouvoir politique, constituent les fondements sur lesquels doit être articulée l’action militaire. À ceux-ci s’ajoutent des principes d’action qui garantissent l’efficacité des forces armées. Certains, comme la liberté d’action, la concentration des efforts et l’économie des moyens restent pertinents, mais doivent être complétés par la surprise et la maîtrise de l’emploi de la force.
Ces fondements et principes, dans leur constance et leur modernité, traduisent la nature à la fois spécifique et évolutive de l’action militaire.
Des engagements à préparer
La stratégie générale militaire impose de conduire des actions au plus près du territoire comme dans la profondeur, de façon permanente ou circonstancielle. Les forces armées sont ainsi engagées quotidiennement au titre des postures permanentes de dissuasion et de sûreté, dans des déploiements et des missions de combat à l’extérieur des frontières, et contribuent également à la sécurité nationale et internationale.
Les situations dans lesquelles les forces armées pourraient être engagées sont décrites dans le CEF de façon générique et différenciée. Elles expriment dans tous les cas la force légitime de l’État et la perspective de confrontation armée, qu’elles appartiennent à la famille des opérations de combat (3) ou à celle des contributions militaires à l’action de l’État (4).
La diversité des onze situations génériques d’engagement considérées justifie le haut niveau d’exigence attendu des forces armées. Les opérations de combat, notamment, imposent des aptitudes à détenir comme la force morale, l’interopérabilité (interarmées, interministérielle, interalliée), la polyvalence, l’adaptabilité et la réactivité. L’ambition internationale de la France exige aussi des aptitudes particulières en termes de commandement, de projection, de renseignement et de maîtrise de l’information.
Les défis que doivent relever les forces armées dans un contexte de réduction du format mais aussi de forte pression extérieure, sont nombreux. Il s’agit en particulier de ne pas sacrifier l’avenir tout en répondant aux exigences des opérations actuelles et de préserver la spécificité de l’action militaire dans le continuum sécurité et défense.
Document de référence au sein et à l’extérieur des armées, fondement du corpus conceptuel et doctrinal interarmées et lien entre le Livre blanc et les contrats opérationnels, le CEF s’adresse à tous les militaires, pour nourrir leur réflexion sur le sens de l’engagement des forces armées et de l’action militaire dans un cadre stratégique élargi. Il constitue la référence conceptuelle pour ceux qui exercent des responsabilités dans la préparation des engagements, la conception et la conduite des opérations. Il s’adresse enfin aux entités extérieures à la Défense en leur permettant de mieux apprécier le rôle des armées et de faciliter ainsi la coopération dans la résolution des crises. ♦
(1) Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, p. 62.
(2) PIA 00-100 Concept d’emploi des forces, n° 004 DEF/CICDE/NP du 11 janvier 2010, disponible sur le site Internet du CICDE.
(3) Intervention multinationale dans un conflit régional majeur, engagement limité éventuellement en national, imposition et maintien de la paix, protection des ressortissants hors du territoire national.
(4) Sécurité intérieure et sécurité civile sur le territoire national, lutte contre le terrorisme, lutte contre la prolifération, défense des intérêts économiques et des accès aux ressources stratégiques, lutte contre les phénomènes criminels transnationaux et la piraterie, assistance à un pays tiers, intervention extérieure de secours d’urgence.