CESA - L'espace : un nouveau théâtre d'opérations ?
L’espace extra-atmosphérique cristallise de nombreux enjeux internationaux et constitue un terrain sur lequel la puissance militaire joue un rôle grandissant depuis les débuts de la guerre froide. Différentes périodes ont pu être identifiées quant à son utilisation à des fins de sécurité et de défense (1). En voici les différentes phases.
L’espace stratégique de la période de la guerre froide
À l’origine de l’ère spatiale, coïncidant avec les débuts de la guerre froide, le fait nucléaire est le facteur qui pousse à la conquête de l’espace. Il devient crucial de se renseigner sur les activités stratégiques de l’adversaire et sur le développement de son arsenal nucléaire. Différentes missions sont alors développées dans cet objectif : observation de la Terre, détection des tirs de missiles intercontinentaux ou encore des explosions nucléaires. Des missions d’écoute complètent ces programmes, notamment en permettant l’interception des télémesures des missiles balistiques en essai (2).
Après la guerre froide, les États-Unis, en tant que superpuissance, vont être amenés à intervenir sur plusieurs théâtres pour faire face à des conflits régionaux. Sur le plan spatial, la première guerre du Golfe, va entraîner l’adaptation des moyens spatiaux au nouveau contexte stratégique et à un conflit d’un type moderne.
L’espace opératif de la première guerre du Golfe
Sans délaisser sa mission stratégique, l’espace se voit confier un objectif qui, s’il n’est pas totalement nouveau, prend des proportions considérables. Il s’agit désormais de venir en soutien d’opérations en mouvement. Le contexte irakien met en lumière la nécessité de détecter les missiles conventionnels à courte portée qui menacent la force et plus seulement les missiles balistiques nucléaires. Par ailleurs, les technologies de l’information et de la communication créent un besoin croissant d’échanges de toute nature (radio, image, données informatiques) et rendent indispensable l’utilisation de satellites de télécommunications pour la conduite des opérations. Enfin, on assiste à l’émergence de l’emploi opérationnel du système de positionnement par satellite GPS, développé une quinzaine d’années plus tôt, qui ne se cantonne plus seulement au positionnement et à la navigation, mais est aussi utilisé dans le guidage automatique des missiles et des bombes dans le théâtre d’opérations.
Ce nouveau type de conflit, que suivront d’autres engagements régionaux de façon quasi permanente, consacre l’utilisation des moyens spatiaux à des fins opératives et tactiques. Cet emploi systématique d’infrastructures spatiales militaires les transforme petit à petit en cibles privilégiées sur lesquelles pèsent des menaces de plus en plus sérieuses. L’espace, véritable « multiplicateur de puissance », pour qui en possède les savoir-faire techniques, recèle donc aussi des faiblesses qui s’accroissent au fur et à mesure que le nombre de « consommateurs » grandit. Il devient donc crucial d’assurer sa sécurité dans l’espace.
Le Space Control et la maîtrise de l’espace
L’espace, essentiellement destiné, sur le plan militaire, à soutenir des activités terrestres, maritimes ou aériennes devient un lieu d’interactions entre ses utilisateurs et fait l’objet d’une exploitation qui s’extrait des seules contingences de la surface terrestre. Son statut est passé de celui de zone de soutien arrière à celui de champ d’affrontement de l’avant. Cette mutation entraîne assez naturellement une volonté de supériorité voire de domination des grandes puissances spatiales qui ne conçoivent pas, à l’instar de ce qui existe dans la zone atmosphérique, quelques dépendances ou menaces que ce soit. En Occident, deux approches doivent être distinguées en la matière : celle du Space Control, concept développé par les Américains, et celle, française (et européenne) de maîtrise de l’espace.
Les termes de Space control voire de Space superiority sont officiellement employés par le Pentagone au milieu des années 90 (3). En 1999, une directive du secrétaire à la Défense, fait de l’espace un « intérêt national vital » (4). Suivent le rapport Rumsfeld, en 2001, les Strategic Master Plan successifs de l’USAF et la National Space Policy, en 2006, qui prévoient le développement de différents moyens de contrôle du milieu spatial, éventuellement offensifs, relevant des counterspace activities ou des counterspace operations (5). Ce réflexe de dominance, justifié par la volonté d’éviter un Pearl Harbour spatial, doit cependant être relativisé depuis l’arrivée de l’Administration Obama qui souhaite éviter une course aux armements dans l’espace pouvant, à terme, être préjudiciable aux États-Unis.
L’approche française, centrée sur la notion de maîtrise de l’espace, répond à la stratégie de sécurité nationale décrite dans le Livre blanc de 2008 et n’implique pas l’utilisation de moyens militaires offensifs. Le développement d’un système de surveillance de l’espace extra-atmosphérique joue un rôle majeur dans cette démarche (6) puisqu’il garantit la souveraineté ainsi que l’autonomie d’action en assurant la sécurité des lancements, en participant à la protection des infrastructures satellitaires (surveillance de l’environnement opérationnel des satellites, anticipation d’éventuelles collisions accidentelles ou non, évitement de débris, etc.) ou en observant les phénomènes agressifs relevant de la « météorologie spatiale » (les éruptions solaires affectent lourdement le fonctionnement des moyens déployés dans l’espace).
La question qui se pose aujourd’hui est la façon de « gérer » l’espace et d’y assurer sa propre souveraineté. Dans ce contexte, la mission de maîtrise et d’exploitation de l’espace à des fins sécuritaires constitue un enjeu militaire à part entière et présente la particularité de refuser, en l’état actuel des accords tacites ou formels entre États, « l’arsenalisation » de l’espace. Cette mission, spécifique, suppose ainsi un régime particulier.
Les concepts d’emploi des forces armées, français, américains et alliés, indiquent tous un nouveau champ d’affrontement spatial. Son caractère inédit rend toutefois difficile l’application de la définition traditionnelle des « théâtres d’opérations » (7). D’abord, il n’existe pas de délimitation absolue de l’espace extra-atmosphérique. En outre, on peut se demander si le fait que certaines activités spatiales soient dévolues aux armées suffit à affirmer qu’une force y opère, au sens militaire du terme, et si un environnement sans arme constitue un théâtre opérationnel. C’est tout l’objet et l’enjeu des recherches conduites par le CESA sur la question. ♦
(1) Xavier Pasco : conférence à l’École militaire, « La militarisation de l’espace », ANAJ-IHEDN, 9 octobre 2009.
(2) Jacques Villain : Satellites Espions : Histoire de l’Espace militaire mondial, Paris, Vuibert, 2009, p. 161.
(3) Xavier Pasco : « Vers une politique territoriale de l’Espace ? - Le renouveau américain », Géopolitique, avril 2007, n° 98, p. 18.
(4) DoD Directive 3100.10 du 9 juillet 1999, cité in Jacques Villain, Satellites Espions : Histoire de l’Espace militaire, op. cit., 2009, p. 59.
(5) Surveillance du milieu spatial, défense des satellites américains, moyens d’attaques.
(6) Livre blanc sur la sécurité et la défense nationale, Paris, Odile Jacob, juin 2008, p. 198.
(7) « Espace géographique délimité dans lequel une force opère pour remplir une mission fixée par l’autorité stratégique » in Glossaire interarmées de terminologie opérationnelle de l’EMA/Emploi.