C’est l’expérience irakienne de l’évolution progressive et radicale du comportement des forces régulières américaines qui sert de fil directeur à cette réflexion sur le retournement de la situation tactique qui a permis de faire basculer des alliances locales et de conclure avec succès des combats au milieu des populations.
De l'influence stratégique des particules élémentaires
On the strategic influence of elementary particles
The Iraqi experience of a radical and progressive evolution in the performance of American regular forces is the thread that runs through this study of the transformation of the tactical situation that has helped to swing local alliances and successfully carry out operations in populated areas.
Le 31 mars 2004, quatre contractors de la société militaire privée Blackwater, chargés de reconnaître l’itinéraire d’un convoi logistique, lui aussi privé, décident de raccourcir leur trajet en traversant la ville de Falloujah, pourtant la plus dangereuse d’Irak, et ce, sans en avertir les unités américaines en charge du secteur. Ils y sont pris en embuscade, massacrés et leurs corps sont suspendus aux poutrelles d’un pont. Filmé, l’incident fait le tour des médias, et prend rapidement une dimension stratégique. Devant l’émotion que suscite l’événement aux États-Unis, l’Administration Bush ordonne à la 1st Marine Division du général Mattis, qui a pris en compte le secteur depuis seulement une semaine, de mener une opération de recherche de grande ampleur. L’incident contraint les Marines à abandonner leur plan, pour l’exécution duquel ils se préparent depuis des mois, de reconquête progressive du secteur par le contact avec la population et la fusion avec les forces de sécurité locale. Ce premier siège de Falloujah, lancé sous la pression d’un incident médiatisé va néanmoins devoir être rapidement levé pour les mêmes raisons. Tant les journalistes occidentaux, recherchant le spectaculaire et qui – avec la complicité des Marines – comparent Falloujah à une nouvelle bataille de Hué (1), qu’Al-Jazira qui diffuse chaque jour des images déchirantes depuis l’hôpital de la ville dans le but de présenter la bataille comme un carnage, créent dans l’opinion mondiale une image de plus en plus décalée de la réalité des combats. L’Administration Bush, après avoir cédé une première fois à la pression de l’opinion en ordonnant le siège, décide alors de lever ce dernier. L’action imprudente de quatre civils a ainsi entraîné le premier revers militaire dans le monde arabe.
Alors que le siège de Falloujah bat son plein, un autre incident va prendre une proportion encore plus importante. Regardant la télévision dans le poste de commandement de la 1st Marine Division, un caporal se tourne vers le général Mattis : « Sir, quelques trous du cul viennent de nous faire perdre la guerre » (2). Il venait d’assister aux révélations des exactions d’Abou Ghraïb. Le 28 avril, l’émission d’actualité 60 Minutes de la chaîne américaine CBS révèle en effet les exactions commises par les gardiens – qui sont des réservistes américains – de la prison d’Abou Ghraïb.
Devant l’obsession d’obtenir des résultats rapides en 2003, et alors que les unités américaines sont encouragées à rechercher « agressivement » la destruction d’un ennemi encore perçu, dans la rhétorique de la « grande guerre contre le terrorisme » comme incarnation du « Mal », les forces américaines vont multiplier les arrestations de suspects, créant un engorgement des prisons. Devant cet accroissement de la population carcérale, les Américains – qui ont dans les années 90 largement externalisé de nombreuses fonctions non directement liées à leur « cœur de métier », c’est-à-dire au combat – vont confier à des réservistes et à des contractors la garde des prisonniers ainsi que leur interrogatoire. Dans un contexte d’impunité et d’absence de contrôle du personnel, ceux-ci vont rapidement soumettre les détenus à un ensemble de pratiques brutales et humiliantes, relevant de la torture. Ils filment et photographient néanmoins leurs exactions, qui finissent par parvenir, alors que l’accès à Internet est libre, aux journalistes américains, déclenchant un large scandale.
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