Cet article ne doit rien à des vues de marins ou d'anciens marins (sauf peut-être pour une note de la rédaction, qui n'a pu s'empêcher de donner son avis sur un point précis, où son expérience personnelle était en jeu). L'auteur est un jeune ancien élève de l'ENA, docteur es sciences politiques et diplômé d'études approfondies d'analyse politique et d'histoire moderne et contemporaine. Il est un passionné des problèmes maritimes et vient de publier un livre sur la puissance maritime soviétique.
À propos de l'Exocet : bataille navale et guerre des commentaires
La destruction du Sheffield a suscité tellement de commentaires qu’il ne devrait plus y avoir grand-chose à en dire. Mais ce sont précisément ces commentaires qui entretiennent la discussion. Il ne faudrait pas croire que celle-ci est désintéressée. Elle obéit à des motivations précises, à la fois doctrinales et commerciales.
L’aspect doctrinal est capital : la guerre des Falkland a mis en lumière un certain nombre de faiblesses des navires modernes en matière de défense contre les attaques aériennes massives et contre les missiles anti-surface. S’il est démontré qu’il n’y a plus de parade efficace contre ce genre d’attaques, la viabilité des flottes de surface va une nouvelle fois être remise en question. Déjà, aux États-Unis, les adversaires des grands porte-avions ont pris la perte du Sheffield comme argument contre la décision de construire de nouveaux « Nimitz » et le secrétaire à la marine John Lehman a dû intervenir pour défendre son programme. En France, certains fonctionnaires des finances ont aussi invoqué les enseignements des Falkland pour justifier le retard pris dans la mise sur cale des porte-avions nucléaires devant remplacer le Foch et le Clemenceau. On conçoit sans peine l’importance de l’enjeu : ce qui est en cause, c’est tout simplement l’avenir des navires conventionnels de surface.
Le débat est en outre compliqué par des considérations commerciales. Le Royaume-Uni et la France ne sont plus des superpuissances et leurs industries d’armement ont un besoin vital d’exporter pour survivre. Chacun cherche naturellement à accaparer le maximum de marchés, en exaltant la qualité de ses matériels et, éventuellement en dénigrant ses concurrents. Pour les Britanniques, la destruction du Sheffield est un coup dur porté à la réputation de leurs chantiers navals. Elle est d’autant plus mal venue que le Sheffield venait justement d’effectuer une tournée de démonstration dans l’océan Indien. D’autre part, British Aerospace s’apprête à lancer sur le marché le Sea Eagle, concurrent direct de l’Exocet. Toutes ces raisons justifient une « réévaluation » des performances de celui-ci durant la guerre des Falkland (1).
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