L'auteur prend à son compte avec son brio habituel les aspects français de la crise des euromissiles.
La France et la crise des euromissiles
Pour la première fois depuis la double décision de l’OTAN de décembre 1979, le déploiement des euromissiles n’apparaît plus comme une simple abstraction, avant tout source de divisions pour les Alliés occidentaux. Les manifestations pacifistes persistent, les manœuvres de la diplomatie soviétique s’accélèrent, alternant avec habileté la carotte et le bâton, les tensions se font toujours jour entre Européens et Américains, mais le climat a changé et l’optimisme semble avoir changé de camp, comme si le temps, à court terme, jouait en faveur des Occidentaux. La victoire du chancelier Kohl a constitué un tournant symbolique : la diplomatie soviétique s’était trop engagée, imprudemment pour certains, aux côtés du SPD, pour ne pas subir les effets de sa défaite. La reprise de l’économie américaine, même si elle s’avère plus apparente que réelle, contribue également à recréer un climat de confiance qui ne peut que renforcer l’image des États-Unis à l’extérieur et conforter sa volonté à l’intérieur. La récente victoire des conservateurs en Grande-Bretagne, les premières divisions et un certain essoufflement des mouvements pacifistes complètent un tableau que la déclaration commune de Williamsburg sur la sécurité n’a fait que symboliser. La partie est certes loin d’être jouée, et d’ici à décembre, de nombreux incidents peuvent tempérer le relatif optimisme actuel.
La France qui n’est plus membre de l’organisation militaire intégrée de l’OTAN n’est pas partie à la décision de décembre 1979, et ne doit pas recevoir de missiles américains sur son sol. Du fait même de cette situation particulière et parce qu’il n’y a pas, en dépit de quelques tensions, de rupture du consensus sur les principes de notre politique de défense, la France n’a pas connu comme nos partenaires et voisins européens et américains la vague de contestation pacifiste (1). La récente manifestation du 19 juin 1983, en dépit de son succès populaire (plus de 200 000 participants), est comme les précédentes limitée dans ses conséquences politiques par son caractère partisan, et la domination en son sein d’un parti communiste peut-être plus que jamais fidèle à des directives venues d’ailleurs. Elle n’en traduit pas moins le fait que la querelle des euromissiles est lentement en train de devenir à sa manière un débat français. Non pas que cette question passionne l’opinion publique ou même nos élites politiques — elle ne nous concerne pas directement —, mais parce qu’elle est devenue par un concours de circonstances le révélateur d’interrogations bien françaises portant sur la logique et parfois les ambiguïtés sinon les contradictions de nos comportements diplomatiques ou stratégiques. La position de la France à l’égard des euromissiles ne s’est pas modifiée depuis le début de la présidence Mitterrand en dépit de certains infléchissements de langage, mais les prises de position soviétiques, qui ont pour fin de comptabiliser nos forces nucléaires et celles des Britanniques dans la négociation, l’évolution du débat lui-même ont eu pour conséquence de susciter l’amorce d’un débat dans le contexte des discussions sur la loi de programmation militaire nouvelle.
Le débat français, si on peut le résumer, tourne autour de deux interrogations : quelle est la nature de l’enjeu, et quelle doit être la position de la France ?
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