Correspondance - Pour un nouveau système de mobilisation
Nous avons reçu, au sujet de l’article paru dans notre numéro de février 1951 : « Pour un nouveau système de mobilisation » par Marcel Vernoux, la lettre suivante :
« Il est difficile de contester le bien-fondé du principe posé dans cet article, et je serais le dernier à critiquer un système où les unités à mobiliser auraient pu vivre et manœuvrer à l’avance, et où chacun aurait déjà occupé la place qui lui revient ; pour les hommes, et surtout pour les cadres des réserves, c’est même une condition essentielle, si on veut qu’ils puissent s’intéresser réellement à leur devoir de défenseur de la patrie.
Mais le procédé suggéré, qui répond certes à cette condition, ne doit-il pas entraîner des modifications telles qu’elles se traduiraient pour l’Armée française par une perte de puissance temporaire pendant le temps de la transformation ? Celle-ci serait-elle opportune aujourd’hui, alors que la situation internationale tendue peut laisser prévoir l’utilisation de nos forces d’un jour à l’autre, et que, d’ailleurs, nous n’avons pas encore le matériel correspondant à une utilisation très poussée des réserves ? Ne vaudrait-il pas mieux, tout en étudiant à fond le système proposé – ou un analogue – remettre à plus tard, c’est-à-dire à une période plus calme, une transformation désirable mais particulièrement délicate ?
En outre, le procédé exposé, qui prévoit une sorte de cristallisation des cadres de carrière sur un certain nombre d’unités de réserve qui, par principe, doivent être continues, permettrait-il actuellement la noria – regrettable, mais inévitable – des mêmes cadres de carrière entre les unités de la métropole et celles d’Indochine ? Il semble que le moindre résultat de cette noria serait justement de provoquer le renouvellement des cadres des centres de formation, dont le caractère principal, dans le système proposé, devrait être au contraire la continuité ? »
Général XXX
La direction de la Revue a soumis ces critiques à M. Marcel Vernoux, qui a répondu comme suit :
« Les objections exposées dans la lettre de notre correspondant font partie de l’ensemble de difficultés que soulève – évidemment – le passage d’un système à l’autre. Nous avons déjà dit que ces difficultés n’étaient pas majeures : nous allons essayer de le prouver sur les deux exemples proposés :
a) Danger de la transformation en période de tension politique.
Supposons la transformation décidée pour une certaine date : auparavant, l’Armée française était composée d’un certain nombre d’unités d’activé (sensiblement sur le pied de guerre) et d’un certain nombre d’unités de formation.
Le passage d’un système à l’autre ne changerait pas le nombre des unités d’active ; cependant, alors que les unités actuelles comprennent toutes un tiers d’hommes non instruits, les nouvelles seraient homogènes et se répartiraient ainsi : deux tiers d’unités entièrement instruites ; un tiers à l’instruction, non encore mobilisables. Les unités instruites seraient incontestablement meilleures que les anciennes, mais il y aurait au total une chute d’un tiers sur le nombre des unités : cette chute serait comblée par les unités nouvellement libérées, mobilisables en deux jours.
Les opérations de passage devraient comprendre :
1° Au cours d’un semestre : aménagement, par mutations entre les unités existantes, de façon à mettre tous les libérables dans des unités homogènes ; avant la libération, y convoquer les officiers de réserve (et spécialistes) destinés à leur encadrement.
2° À la fin du semestre : libération de ces unités et incorporation du nouveau semi-contingent selon les nouvelles formules.
3° Pendant le semestre suivant : fin des mouvements commencés au semestre précédent. La transformation est, dès lors, entièrement assurée.
La seule cause de faiblesse passagère pourrait donc se trouver dans l’exécution des mutations nécessaires ; mais si celles-ci sont réparties judicieusement sur plusieurs mois, il ne semble pas qu’il puisse en résulter un réel danger !
En vérité, le travail d’état-major serait important, et ceci nous amène à une autre constatation : il n’est un secret pour personne que, dans la période d’agitation actuelle, les bureaux sont surchargés, résultat des incidences politiques d’une part, mais aussi des ponctions opérées dans leurs rangs en 1945 et 1946. Pris par les nécessités quotidiennes, véritablement harassantes, ils n’ont pas assez de temps pour se donner à des tâches d’organisation générale.
À la tête des affaires industrielles bien organisées, il existe à la fois des bureaux d’études et des bureaux de fabrication. On demande depuis longtemps qu’il en soit de même dans l’Armée, au moins dans les grands États-Majors : qu’on ne soit pas obligé de créer une Commission chaque fois qu’un problème nouveau est à résoudre. Ceci exigerait évidemment d’augmenter légèrement l’effectif des États-Majors ; mais le gonflement des organes d’études n’est-il pas une des caractéristiques mêmes du progrès ?
b) Incidence des besoins du corps expéditionnaire d’Extrême-Orient.
Tant que durera la guerre d’Indochine, les nécessités de la relève pèseront sur l’organisation des unités métropolitaines, quel que soit le système adopté. Il est, de toute façon, indispensable de disposer d’un plus grand nombre d’officiers et de sous-officiers de carrière pour rendre le tour de départ moins fréquent. Or, nous pensons que le système proposé serait – pour un même nombre total d’unités d’active – moins onéreux en cadres de carrière que l’actuel ; si on ajoute les augmentations d’effectifs de carrière actuellement projetées et même en partie votées, on peut estimer que la relève deviendrait plus facile.
Si cependant quelques mutations doivent venir, au cours des quelques années de vie des unités continues, en changer partiellement l’encadrement, elles ne seraient tout de même pas suffisantes pour détruire le caractère de continuité que nous voulons leur donner.
* * *
Les objections présentées ne correspondent donc pas à des inconvénients majeurs, mais seulement à des difficultés. Reste à savoir si celles-ci sont du même ordre que l’avantage inestimable qui consiste à donner au pays des véritables instruments de défense, aiguisés et rodés : nous sommes certains du contraire.
Y aurait-il d’ailleurs avantage à attendre des jours calmes pour passer à l’exécution ? L’expérience prouve que c’est à chaud que se font presque toujours les opérations chirurgicales ; c’est encore plus vrai en politique : la sécurité n’a jamais prédisposé aux décisions importantes. »
Marcel Vernoux