Ayant eu l'occasion d'étudier avec soin le fonctionnement des institutions soviétiques, l'auteur nous livre ici des renseignements fort intéressants sur le pouvoir politique dans l'Armée rouge, sur son évolution dans les dernières décennies, et il montre bien que la pensée et l'action au sein de cette armée sont tout à fait au diapason de la ligne officielle du parti.
Les organes politiques des forces armées soviétiques
L’article de M. Makinsky publié récemment dans la revue (1) a critiqué certaines des positions prises par M. Castoriadis sur les rapports qui existent en Union Soviétique entre le pouvoir politique et le parti d’une part, les forces armées d’autre part. Pour mieux saisir le problème posé par ces rapports, il est nécessaire d’étudier les organes dont dispose le pouvoir politique au sein des armées et le rôle qu’ils jouent dans le système.
Dans tous les pays de l’Est le pouvoir politique agit à quatre niveaux. Au premier, il se manifeste dans la vie quotidienne par « l’autorégulation » des citoyens, conformément à un code non écrit et souvent contraire à la Constitution, imposé par le parti détenteur d’une autorité qu’il a usurpée. Au deuxième niveau, on trouve les directives du parti sur des points particuliers. La police politique (KGB, STB, etc.) exerce une pression permanente, psychologique et physique, sur tous les membres de la société de façon à assurer le fonctionnement ordinaire de celle-ci sans qu’il y ait de tensions ouvertes. Au troisième niveau, cette police politique est chargée de la prévention des crises et de leur gestion quand leur ampleur est limitée. Au quatrième, si les crises deviennent majeures comme en Pologne ou lors de certaines révoltes en URSS, les forces armées sont chargées de les résoudre. Celles-ci constituent ainsi dans chaque État l’ultime recours du pouvoir politique, ce que l’on appelle « l’ultima ratio potestatis in regno ». Si, comme en Allemagne de l’Est en 1952, en Hongrie en 1956 ou en Tchécoslovaquie en 1968, ce sont les troupes soviétiques qui agissent, ces dernières sont l’ultime recours non d’un État mais du pouvoir sur l’ensemble du monde « socialiste », « l’ultima ratio potestatis in imperio » (2).
Les forces armées des pays de l’Est sont un moyen dans les mains du pouvoir politique, ne serait-ce que parce que 99 % des officiers sont membres du parti communiste. Certes, les officiers peuvent constituer, et constituent souvent en fait, un groupe de pression « conservateur ». Il ne faut pas confondre leur rôle en tant que membres du parti avec celui qui est le leur en tant que techniciens chargés de la fonction « défense du système socialiste ». Dans ce dernier domaine ils ont des exigences que les responsables du parti cherchent à satisfaire le plus possible. La fonction pouvoir politique et la fonction défense se distinguent nettement pour se rejoindre au plus haut niveau, celui du Politburo et du comité d’État pour la défense (GKO). À ce niveau, les discussions et les tensions sont à la fois réelles et admises, car elles ont pour but de renforcer le camp socialiste. Le parti veille à ce que la discussion ne s’étende pas à la détention et l’exercice du pouvoir entre lui et les officiers communistes considérés comme groupe de pression.
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